Le régime concordataire en Alsace-Moselle est un élément du régime concordataire français qui n'a pas été abrogé par la séparation des Églises et de l'État en 1905, l'actuelle Alsace-Moselle étant alors un territoire de l’Empire allemand[1].
« Régime concordataire d'Alsace-Moselle » est une expression courante cependant inexacte, puisqu'un concordat est un accord entre le Saint-Siège à Rome (donc l'Église catholique) et un État, tandis que la situation en Alsace-Moselle concerne quatre cultes au total. L'expression exacte se trouve donc être « Régime spécifique des cultes en Alsace-Moselle ».
Ce régime spécifique à l'Alsace-Moselle reconnaît et organise les cultes catholique, luthérien, réformé et israélite et permet à l'État de salarier les ministres de ces cultes. À son entrée en vigueur en 1802, il reconnaissait égales les trois confessions et les religions présentes. Il est fondé sur le concordat signé en 1801 entre Napoléon Bonaparte et Pie VII, ainsi que sur des lois allemandes votées durant la période du Reichsland d'Alsace-Lorraine. Ce régime n'a été abrogé ni par l'annexion allemande en 1871 ni par le retour des trois départements au sein de la République française en 1919[1]. Ce maintien du statut concordataire et des lois allemandes intervenues entre-temps fait suite à une promesse de respecter les traditions des provinces recouvrées par le général Joffre lors de la libération de Thann le , promesse renouvelée par le président de la République Raymond Poincaré en février 1915 et par le maréchal Pétain en 1918 alors que 90 communes alsaciennes sont administrées par la France lors de la Première Guerre mondiale[2]. Ainsi, décision a été prise par le décret du de maintenir provisoirement en vigueur l'essentiel du droit local, notamment en matière de cultes et d'enseignement avant sa pérennisation[3]. Une fois validé le retour de l'Alsace-Moselle à la France par le traité de Versailles, signé le 26 juin 1919 puis ratifié par une loi du 12 octobre 1919 (bien qu'elle ne soit publiée que par un décret du 12 janvier 1920), une loi sur le régime transitoire applicable à ces territoires est votée le puis confirmée par la suite[Quand ?][4].
Cet élément du droit spécifique en Alsace-Moselle est donc issu du passé français des trois départements (et non directement de leur passé allemand, contrairement au droit local des associations ou au régime local de la sécurité sociale ou plus spécifiquement au délit de blasphème[5]). Alors que ce statut concordataire est contesté par le Cartel des gauches au pouvoir en 1924, un avis du Conseil d'État du déclare que la loi du 18 germinal an X appliquant le concordat de 1801 est toujours en vigueur[6].
Ce régime donne périodiquement lieu à des prises de position entre ses partisans[7] et ses adversaires[8]. Sa validité est confirmée le par le Conseil constitutionnel qui considère que la Constitution de la Ve République n'avait pas « entendu remettre en cause les dispositions législatives ou réglementaires particulières applicables dans plusieurs parties du territoire de la République lors de l'entrée en vigueur de la Constitution et relatives à l'organisation de certains cultes »[9].
La religion est enseignée obligatoirement à l'école primaire et au collège, mais une dispense est maintenant acceptée sur demande écrite des parents en début d'année scolaire. Les élèves du primaire dispensés de cours de religion assistent à des cours de morale ; les collégiens sont simplement dispensés de cours. Ce n'est pas un cours de catéchisme mais plutôt un enseignement culturel et religieux (le catéchisme au sens strict du terme, préparation des enfants à la communion et à la confirmation, est assuré dans les paroisses). Cette heure d'enseignement hebdomadaire se nomme d'ailleurs dans beaucoup d'établissements « culture religieuse ». Dans certains établissements (en particulier les lycées professionnels), le cours se nomme « faits religieux ». Les professeurs de religion catholique et protestante sont diplômés par les facultés de théologie correspondantes de l'Université de Strasbourg ou par le département de théologie de l'Université de Lorraine.
Le concordat, ou plutôt, le régime spécifique des cultes d'Alsace-Moselle n'affecte pas l'enseignement privé confessionnel, assez développé dans les trois départements. Il y existe des établissements primaires et secondaires des trois religions concordataires.
L'archidiocèse de Strasbourg et le diocèse de Metz sont placés directement sous l'autorité du Saint-Siège (et non sous celle d'un primat ou d'un métropolite), même si, pour des raisons de commodité, l'archevêque de Strasbourg et l'évêque de Metz sont membres de la Conférence des évêques de France. L'ancien évêché de Strasbourg a été élevé à la dignité d'archevêché en 1988 à la suite de la visite du pape Jean-Paul II.
Le président de la République française est le dernier chef d'État au monde à nommer des évêques catholiques[10],[11]. Cette nomination, qui n'est ni une désignation, ni une investiture (l'une et l'autre relèvent de l'autorité de l'Église et donc du Saint-Siège), a été voulue par Napoléon Bonaparte comme un contre-poids au pouvoir du Saint-Siège : contrôle et non pas pouvoir d’ordre spirituel. C'est aujourd'hui plutôt une survivance juridique sans signification politique réelle.
La procédure est la suivante, pour les deux évêchés :
La procédure est complexe et prend donc plusieurs mois.
L'université de Strasbourg comporte une faculté de théologie catholique et une faculté de théologie protestante[12], et l'université de Lorraine sur le site de Metz comporte un département de théologie[13] (dans son Unité de formation et de recherche sciences humaines et arts), avec deux parcours au choix : théologie catholique et pédagogie religieuse. Ce sont les seules universités publiques françaises où la théologie est enseignée. Elles participent à la formation des prêtres et des pasteurs mais aussi de laïcs (catéchistes et professeurs de religion de l'enseignement primaire et secondaire) et délivrent des diplômes d'État de théologie, ce qui n'existe nulle part ailleurs en France. Ce sont cependant des unités de formation et de recherche de plein droit.
La faculté de théologie catholique est sous l'autorité du Saint-Siège, et les diplômes qu'elle délivre sont reconnus comme canoniques.
La différence essentielle concerne les ministres du culte : aucun desservant n'est salarié sur fonds publics. L'achat, l'entretien et le fonctionnement des lieux servant aux cultes sont exclusivement à la charge des fidèles (ou d’États tiers).
La construction de lieux de culte est libre dans la limite du droit de l’urbanisme et de la construction. Tout culte peut disposer de postes d’aumônerie, conformément au principe d’égalité et de liberté de religion pour les personnes détenues, malades ou en service actif. Tous les cultes pratiqués dans la région (branches bouddhistes, culte musulman, judaïsme libéral, courants chrétiens comme les évangéliques, pentecôtistes, mormons, méthodistes, mennonites) peuvent s’organiser selon un statut juridique protecteur offrant une grande capacité juridique, l’association de droit local alsacien-mosellan, dans le cadre du droit local des associations[14]. Après inscription officielle au registre du tribunal de grande instance, ces associations :
Toutes les communautés ayant un caractère congrégationniste sont susceptibles d'être reconnues en droit local. Les ministres des cultes organisés dans le cadre du droit privé peuvent demander leur affiliation à la Caisse mutuelle d'assurance maladie des cultes et à la Caisse mutuelle d'assurance vieillesse des cultes.
Le culte musulman (en 1996, plus de 109 000 personnes en Alsace-Moselle[15]) n’a pas le statut de culte reconnu. Mais le droit local permet la constitution de communautés musulmanes sous le régime juridique d'association de droit local alsacien-mosellan. La Grande Mosquée de Strasbourg est indiquée par des panneaux posés par les pouvoirs publics compétents. Cette mosquée a bénéficié de fonds publics pour sa construction, ce qui aurait été impossible dans le reste de la France. Un cimetière musulman a été inauguré au début de 2012 à Strasbourg[16].
Il est parfois proposé d'inclure l'islam dans le concordat. Ainsi, le député de Moselle François Grosdidier a proposé un texte dans ce sens à l'Assemblée nationale en 2006[17]. Les responsables locaux juifs, catholiques et protestants ne sont, a priori, pas opposés à cette intégration, qui les aiderait à consolider ce statut différencié par rapport au reste de la métropole.
Le délit de blasphème, anciennement prévu par l'article 166 du code pénal local applicable dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, a été abrogé par l'article 172 de la loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017[18].
Selon un sondage IFOP commandé par le Grand Orient de France, publié en avril 2021 dans le contexte de la polémique autour du projet de subventionnement du chantier d'une mosquée par la municipalité de Strasbourg dirigée par Jeanne Barseghian, 52 % des Alsaciens-Mosellans souhaitent l'abrogation du Concordat[19]. Localement, tous les partis plaident pour le maintien du Concordat hormis La France insoumise[19].
On constate une baisse de la participation aux cours de religion à l'école, une des spécificités du Concordat : de 80 % dans les années 1990 à 50 % en 2021 à l'école primaire (la baisse étant bien plus prononcée dans le secondaire où cette heure de cours ne fait pas partie du volume d'enseignement hebdomadaire)[19].