L'adresse des 221 fut adressée le par la Chambre des députés à l'intention du roi de France, Charles X. À l'occasion de l'ouverture de la session parlementaire de 1830, elle exprime la défiance de la majorité libérale de la Chambre, forte de 221 députés, à l'égard du ministère dirigé par le prince de Polignac.
Depuis les élections des 17 et , les Doctrinaires sont majoritaires à la Chambre. Bien que rien ne l'y oblige et malgré ses convictions, Charles X semble d'abord jouer le jeu parlementaire en confiant le la présidence du Conseil à un semi-libéral, le vicomte de Martignac. Martignac fait voter quelques lois libérales mais n'arrive pas à contenir la montée du libéralisme. Mis en minorité sur une loi réorganisant les collectivités locales, il démissionne.
Lassé des abus libéraux, Charles X décide d'imposer ses propres choix sans tenir compte de la majorité parlementaire. Le , il nomme le prince Jules de Polignac, ami fidèle et leader des ultras, au ministère des Affaires étrangères. Polignac apparaît rapidement comme le meneur du nouveau cabinet. En novembre, le prince accède finalement à la présidence du Conseil des ministres. Le nouveau chef du ministère évoque les mauvais souvenirs et les ragots de la cour de Versailles – il est le fils de l'amie intime de Marie-Antoinette, la très impopulaire duchesse de Polignac ; il est l'une des figures de l'émigration, durant laquelle il a été le compagnon de Charles X à Coblence. Le prince n'est donc pas populaire auprès des libéraux. À ses côtés, le comte de La Bourdonnaye, ministre de l'Intérieur, est également un « ultra » qui s'est signalé en 1815 en réclamant « des supplices, des fers, des bourreaux » contre les participants aux Cent-Jours, visant implicitement l'héritage révolutionnaire qu'il espère liquider[1]. Quant au ministre de la Guerre, le général de Bourmont, c'est un ancien chouan rallié à Napoléon Ier, et qui l'a trahi quelques jours avant la bataille de Waterloo.
L'opposition pousse des clameurs indignées : « Coblentz, Waterloo, 1815 : voilà les trois principes, voilà les trois personnages du ministère. Tournez-le de quelque côté que vous voudrez, de tous les côtés il effraie, de tous les côtés il irrite. Pressez, tordez ce ministère, il ne dégoutte qu'humiliations, malheurs et chagrins. »[2] Bertin aîné, directeur du Journal des débats, publie un article célèbre qui se termine par la formule : « Malheureuse France ! Malheureux roi ! », où il stigmatise « la cour avec ses vieilles rancunes, l'émigration avec ses préjugés, le sacerdoce avec sa haine de la liberté »[3].
Il y a, dans cette véhémence, une part de mise en scène. Polignac, présenté comme un bigot fanatique[4] obsédé par le droit divin des rois, est en réalité favorable à une monarchie constitutionnelle, mais considère que celle-ci n’est pas compatible avec une liberté de la presse sans limite ni mesure. Plusieurs ministres importants – Courvoisier à la Justice, Montbel à l’Instruction publique, Chabrol de Crouzol aux Finances, le baron d’Haussez à la Marine – sont plutôt libéraux[5]. Lorsque La Bourdonnaye démissionne le 18 novembre quand Polignac accède à la présidence du Conseil, il est remplacé par le baron de Montbel, lui-même remplacé à l'Instruction publique par un magistrat libéral, le comte de Guernon-Ranville.
Dès novembre 1829, des rumeurs laissent pourtant penser que les ultras veulent tenter un coup d'État pour modifier la Charte dans un sens conservateur ou rétablir purement et simplement la monarchie absolue. Rien ne permet d'affirmer que, comme l'a prétendu l'opposition, Charles X et Polignac aient voulu rétablir la monarchie absolue d'avant 1789. En réalité, ce sont deux conceptions de la monarchie constitutionnelle, c'est-à-dire deux interprétations de la Charte de 1814, qui s'affrontent en 1829-1830. D'un côté le roi veut s'en tenir à une lecture stricte de la Charte : pour lui, le monarque peut nommer les ministres de son choix et n'a à les renvoyer que dans les deux cas prévus par la Charte (trahison ou concussion). De l'autre côté, les libéraux voudraient faire évoluer le régime à l'anglaise, vers un parlementarisme que la Charte n'a pas explicitement prévu : ils estiment que le ministère doit avoir la confiance de la majorité de la Chambre des députés. Ce débat ne sera d'ailleurs pas tranché par la Monarchie de Juillet.
Le , lors de l'ouverture de la session parlementaire, Charles X prononce un discours du trône dans lequel il annonce l'expédition militaire d'Alger et menace implicitement l'opposition de gouverner par ordonnances en cas de blocage des institutions :
L'allusion à la « résolution de maintenir la paix publique » renvoie à l'article 14 de la Charte de 1814 selon lequel :« Le roi [...] fait les règlements et ordonnances nécessaires pour l'exécution des lois et la sûreté de l'État ». Charles X appuya de la voix et du geste les mots « je ne doute pas de votre concours » et « que je ne veux pas prévoir », ce qui fit rouler son chapeau au pied du trône, où se tenait le duc d'Orléans, qui ramassa le couvre-chef et le rendit au roi avec une profonde déférence. Ultérieurement, des témoins n'ont pas manqué de souligner le caractère prémonitoire de la scène.
En réponse au discours du trône, la Chambre des députés doit adopter une motion appelée « adresse ». Après les remontrances royales, les députés abordent donc la discussion du projet d'adresse élaboré par la commission nommée à cet effet, et qui est examiné les 15 et 16 mars. Le projet est une véritable motion de défiance à l'encontre du ministère :
En droit, la Charte de 1814 a institué un régime représentatif mais n'a pas établi un régime parlementaire. Rien, dans la Charte, ne donne à la Chambre des députés de compétence pour interférer dans la formation du ministère, qui constitue une stricte prérogative royale. Rien n'indique non plus que le ministère doive disposer de la confiance de la Chambre. Certes, une collaboration entre le ministère et le Parlement est nécessaire pour légiférer[6], mais elle n'implique pas que le gouvernement soit l'émanation de la chambre basse[7].
Mais les théoriciens du libéralisme, en tête desquels Benjamin Constant, agitent la menace d'un refus de vote du budget, rendant illégale la levée des impôts. La Chambre pourrait ainsi, en empêchant le ministère de gouverner, l'acculer à la démission. Le général Sébastiani, député de l'Aisne et familier du Palais-Royal[8], tout en concédant que « la couronne a le droit de choisir librement ses ministres », développe à la Chambre une interprétation toute personnelle des institutions : « ce droit a ses limites, celles qui sont tracées par la raison et l'utilité publique [...] Les choix de la couronne doivent nécessairement tomber sur des hommes qui inspirent assez de confiance pour rallier autour de l'Administration l'appui des chambres. Ainsi déterminé, le cercle dans lequel doit se mouvoir la prérogative royale est assez étendu pour qu'elle ne soit jamais gênée dans ses mouvements. Lorsque les conseillers de la couronne ne jouissent pas de cette confiance nécessaire à l'action et à la force du gouvernement, leur devoir est de résigner leur charge. » On reconnaît là le système constitutionnel de la monarchie parlementaire anglaise vers la fin du XVIIIe siècle.
Le 16 mars, la Chambre des députés passe au vote sur le projet d'adresse : sur 402 votants, elle obtient 221 boules blanches (pour) contre 181 boules noires (contre). L'adresse est adoptée. Aussitôt, Alexandre Méchin, député libéral de l'Aisne, court porter la nouvelle au Palais-Royal, et le 18 mars en fin de matinée, Charles X reçoit au palais des Tuileries la délégation de la Chambre des députés, conduite par le président, Pierre-Paul Royer-Collard, qui lui lit l'adresse ainsi rédigée :
Charles X répondit :
Pour résoudre la crise, Charles X dissout l'assemblée le , comptant sur l'arbitrage du peuple pour reconstituer une majorité qui lui sera favorable. Mais à la surprise générale, les libéraux l'emportent aux élections du et du . De surcroît, les libéraux se voient attribuer 274 sièges, soit 53 de plus qu'avant la dissolution.
Parmi les 221 députés ayant voté le texte, on peut citer :