Agricol Perdiguier
Illustration.
Agricol Perdiguier
Fonctions
Député à l'Assemblée constituante
-
Député à l'Assemblée législative
-
Gouvernement IIe République
Groupe politique montagne
Biographie
Date de naissance
Lieu de naissance Morières-lès-Avignon
Date de décès (à 69 ans)
Lieu de décès 12e arrondissement de Paris
Profession Compagnon menuisier
Résidence Paris

Agricol Perdiguier, né le à Morières-lès-Avignon, à 7 km d'Avignon (Vaucluse), mort le à Paris est un compagnon menuisier du tour de France dit Avignonnais la Vertu, écrivain et député français.

Biographie

Enfance

À Morières, sa ville natale, le rond-point dédié à cet enfant du pays.

Agricol Perdiguier naquit l’année d’Austerlitz et de Trafalgar. Si la gloire et les déboires de Napoléon n’eurent que peu d’influence sur sa vie, son enfance fut marquée tragiquement par la Restauration[1].

En 1815, son père, Pierre, ex-capitaine des armées de la République, condamné à mort, dut s’exiler en toute hâte ; sa mère, Catherine Gounin[2] « la femme la plus extraordinaire par sa bonté », après avoir été molestée, failli être jetée en prison. Lui-même, âgé de dix ans, fut traité de bonapartiste, républicain et petit brigand avant d’être « frappé violemment et traîné sur le pavé et dans les ruisseaux par des hommes vigoureux et par des femmes en furie »[1].

Un quart de siècle plus tard, il n’avait pu oublier et cita nommément ses tortionnaires, les sieurs Pointu, Magnan, Nadaut et Sibaut, « qu’on disait payés par de mauvais prêtres, [et qui] jouèrent aux revenants, courant les rues la nuit, vêtus de blanc ou de noir ou de rouge, traînant des chaînes, agitant des sonnettes, des grelots, frappant à certaines portes, parlant au nom de certaines âmes, et demandant des prières, des messes pour les trépassés, voire la restitution des lieux qui avaient jadis appartenu aux nobles, surtout aux couvents et aux églises »[1].

Cinquième enfant d'une famille qui en compta sept (trois garçons et quatre filles), il voulut suivre les traces de son père, ses deux frères aînés, Simon et François, préférant cultiver les terres. À l'issue d'un parcours scolaire très sommaire, trois années qui lui permirent d'apprendre à lire, écrire et compter[2], et d'un apprentissage de deux ans dans l'atelier paternel[3], il entra chez les Compagnons d’Avignon en 1823 pour apprendre le dessin technique (l'art du trait)[1]. Il participa à la restauration des menuiseries de Notre-Dame des Doms. La sacristie conserve toujours un chappier [4] entièrement fait par lui[5].

En 1823, il devint « affilié » chez les Compagnons du devoir de la liberté. Cela lui permit de commencer le son premier Tour de France, qui allait durer cinquante-deux mois[3] et le mena de Marseille à Nîmes, puis à Montpellier, où il fut fait « compagnon reçu » sous le nom d'Avignonnais la Vertu, de Béziers à Bordeaux, enfin de Nantes à Chartres[6] où il devint « compagnon fini »[1].

Compagnon du Tour de France et écrivain

De Paris, il gagna Lyon, où il fut placé à la tête de sa « Société » comme premier compagnon, puis dignitaire. Dans ces villes, il découvrit le combat fratricide des différentes sociétés de compagnonnage, reflet des conflits de société de cette époque[1]. Il revint enfin à Morières le .

Perdiguier repartit l'année suivante à Paris, puis, en 1831, faute de travail, fut embauché à Nogent-le-Roi (Eure-et-Loir) où il donna des cours du soir de menuiserie aux artisans locaux[7]. En 1833, il revint à Paris où il épousa Lise, couturière de son état, en 1836[3]. Ils s'installèrent au 104, rue du Faubourg-Saint-Antoine. Avignonnais la Vertu prit conscience de l’inutilité des conflits entre compagnons de différents devoirs[1]. Pour faire passer ses idées sur « l'indispensable réunification », il composa nombre de chansons qu'il réunit en cahiers et fit distribuer gratuitement à travers la France[3].

Il compléta son éducation, lisant les poètes, le théâtre de Voltaire. Il publia en 1840, son célèbre Livre du Compagnonnage (orthographié alors avec un seul n puis corrigé dans l'édition en 2 volumes en 1841 sur les couvertures imprimées, mais pas en pages de titre), le premier écrit sur les compagnons et par un compagnon, qui attira l'attention d'intellectuels comme Eugène Sue et George Sand. Paru à compte d'auteur, cet ouvrage, tout en décrivant les différents devoirs compagnonniques, dénonçait leur manque de fraternité. Il y proposait de moderniser les structures, de développer le rôle de société de secours mutuel et de formation professionnelle[8].

Il entretint dès lors une correspondance suivie avec Victor Hugo, Lamartine, d'autres écrivains et hommes politiques. Si ce livre le rendit célèbre, il excita la jalousie. La même année, le 31 mars, il dut accepter le défi de « Bayonnais le Flambeau du Trait », un provocateur, pour un concours de trait – la partie de la géométrie descriptive s’appliquant à la coupe du bois – et en sortit vainqueur haut la main. Un succès qui l’encouragea à poursuivre dans la voie de l’enseignement des techniques auprès de ses jeunes compagnons sans se soucier de leur appartenance[1].

Il publia ensuite d'autres ouvrages, et devint l'ardent ouvrier de la réconciliation entre les différentes sociétés de compagnonnage. Pour lui, tout passait par l'éducation et la lecture. En 1846, dans sa Biographie et réflexions diverses, Perdiguier expliqua à ses pays du Tour de France :

« Livrez-vous à toute étude qui puisse vous éclairer et vous inspirer l’amour de vos frères. De simples individus se procurent, en souscrivant, des collections de livres. À leur exemple, souscrivez aussi, mais en faveur de l’Association : formez-lui sa bibliothèque et que cette bibliothèque renferme des Vignoles, des traités de Géométrie, un Dictionnaire de la langue que nous parlons, un Dictionnaire de géographie, une Histoire de France, un abrégé de l’Histoire Universelle, nos Auteurs dramatiques les plus en renom, les Poèmes anciens et modernes, parce que le peuple aime la poésie… Concevez combien une telle bibliothèque serait favorable à tous. Elle offrirait à votre esprit un nouvel aliment et de nouvelles distractions ; vous deviendrez savants, et quand vous retournerez dans vos pays, vos compatriotes diraient de chacun de vous : Voilà un homme auquel le Tour de France n’a pas été inutile[1]!. »

Malade des yeux, blessé à la main, il dut abandonner l'établi[3] et se consacra désormais à l'enseignement du trait[9]. Passionné par le livre et par l'écriture, il ouvrit à Paris, dans le Faubourg Saint-Antoine, une librairie dans laquelle il enseigna. Ce magasin fut fréquenté par Gambetta, Jules Ferry et d'autres acteurs sociaux de l'époque. Ce travailleur autodidacte qui connaissait et citait, parmi les anciens, Socrate, Platon, Aristote et… Machiavel, admirait chez les modernes aussi bien Chateaubriand que Victor Hugo, Eugène Sue que George Sand[1].

La Dame de Nohant et le compagnon

Le philosophe Pierre Leroux envoya à George Sand un exemplaire du Livre du Compagnonnage : la Dame de Nohant, déjà acquise au « socialisme humanitaire » fut conquise par les idées du compagnon et l'invita chez elle à Paris[8].

Grâce à lui, elle découvrit les pratiques du compagnonnage, et il lui fit part de sa fierté concernant ses compagnons devenus écrivains (prosateurs), à l’exemple du serrurier Pierre Moreau et de son ami Adolphe Boyer, l’imprimeur.

« Avignonnais la Vertu » s’était intégré, dès le début de sa carrière, dans le mouvement des chansonniers « qui ne chantait plus la bataille mais la paix et l’harmonie » entre compagnons et nous rappelle l’importance qu’eurent alors dans les sociétés : « Nantais Prêt à Bien Faire », « Bourguignon la Fidélité », « Vendôme la Clef des Cœurs », « Bien Décidé le Briard », « Parisien Bien Aimé » et « Guépin l’Aimable ». Mais, ce fut surtout l’œuvre des poètes ouvriers qui força l’admiration d’Agricol Perdiguier[1]. Il lança à la façon d’un manifeste :

« Que les poètes aux mains calleuses surgissent de toutes parts et le dédain sera vaincu. Ces poètes, ce sont le boulanger Reboul, les menuisiers Durand et Rolly, les imprimeurs Hégésippe Moreau, Lachambeaudie et Voitelin, le tisserand Magu, le potier d’étain Beuzeville, l’imprimeur sur indiennes Lebreton, le cordonnier Lapointe, le fabricant de mesures linéaires Vinçard, le maçon Poncy, le vidangeur Ponty, le serrurier Gilland, la couturière Marie Carré de Dijon, le perruquier Jasmin, et tant d’autres… Tous ces poètes ne chantent pas comme chantaient jadis l’abbé Dulaurent, l’abbé de Chaulieu, l’abbé de Bernis, l’abbé de Brécourt, le vin et la prostitution ; non, ce qui les inspire, c’est l’amour du travail et des hommes[1]. »

George Sand prit l'initiative d'aider Perdiguier en organisant un tour de France publicitaire et en y participant pécuniairement. Il l'effectua en diligence du 16 juillet au et vendit ou distribua 500 exemplaires de ses livres au cours de ce périple. Elle profita, pour sa part, de leur relation, en écrivant Le Compagnon du Tour de France, publié cette année-là : le personnage principal de ce roman, Pierre Huguenin, n'est autre qu'Agricol Perdiguier[8].

Eugène Sue fit d'Agricol Baudoin, dépeint dans le cinquième épisode de son feuilleton, puis roman, Le Juif errant , un personnage proche d'Avignonnais la Vertu[9].

Cette mise en avant d'Agricol Perdiguier facilita la reconnaissance du Compagnonnage et poussa les « Devoirants » à se sentir responsables d'un nouveau modèle social, alors que se développaient les idées qui se retrouvèrent au cœur de la révolution de 1848.

Chacun suivit ainsi son chemin, mais la romancière soutint longtemps Perdigiuer et son épouse. En 1855, elle écrivit un second livre en souvenir de leurs espoirs communs : La Ville Noire. Elle y décrivit les luttes du compagnon-écrivain, le devenir du Compagnonnage et le rôle des femmes dans la transformation sociale[8]. De Nohant, elle lui écrivit le  :

« Croyez bien que mon cœur vous est resté fidèle et sincèrement attaché[1]. »

Républicain engagé et franc-maçon

Statue d'Agricol Perdiguier dans le Square Agricol Perdiguier d'Avignon.
Tombe au cimetière du Père-Lachaise.

Très actif durant la révolution de 1830, il se retrouva même coude à coude avec son compatriote le Carpentrassien François-Vincent Raspail, qui dirigeait la « Société des amis du peuple », pour faire le coup de feu lors l'insurrection provoquée par les incidents du , lors des funérailles du général républicain Lamarque[9].

Républicain de conviction, il prit position pour la laïcité de l'enseignement. La fraternité, l'entraide et l'accès à l'instruction furent les moteurs de son action qui se déplaça sur un terrain plus politique. Il est initié à la franc-maçonnerie le , dans la loge parisienne « Les hospitaliers de la Palestine » du Suprême Conseil de France[10].

Défenseur de ses camarades ouvriers charpentiers lors de la grève de 1845, combattant inlassablement la présence du « troisième ordre » (caste aristocratique et patronale) dans le compagnonnage, il voulut aller plus loin. Conscient que la défense des travailleurs nécessitait une action politique, il répondit à l’appel lancé par Raspail le lorsqu’il proclama la République à l’Hôtel de ville de Paris[1].

Le gouvernement Ledru-Rollin ayant organisé les élections pour l'Assemblée constituante le 23 avril, Perdiguier se présenta à la députation. Avec l'appui de Béranger, de Lamartine et de George Sand, il fut élu dans la Seine et dans le Vaucluse. Il était arrivé 29e sur 34 avec 117 290 voix sur 267 888 votants et 399 391 inscrits, en Île-de-France, et en Provence, 5e sur 6 avec 22 056 voix sur 59 634 votants. Il choisit la Seine, laissant sa place de député vauclusien à Alphonse Gent et siégea sur les bancs de la Montagne[1].

Réélu comme représentant du peuple à l'Assemblée législative, le , en se plaçant 27e sur 28 avec 107 838 voix sur 281 140 votants et 378 043 inscrits, il siégea à la gauche du Parlement. Son opposition au coup d'État du 2 décembre 1851 de Napoléon III valut à ce fervent républicain un exil politique en Belgique. Interné à Anvers, il s'enfuit en Allemagne, puis rejoignit Genève où il reprit son métier de menuisier et ses cours de dessin. Là, sous le pseudonyme de Rolland, il entretint une correspondance avec d'autres proscrits dont Victor Hugo[9] et écrivit Mémoires d’un Compagnon en 1854[1].

Au bout de quatre ans, il put quitter la Suisse et rejoindre sa famille restée à Paris. Il ouvrit une librairie rue Traversière, près de la Gare de Lyon[9] ; pour améliorer l'ordinaire, son épouse et ses deux filles créèrent dans l'arrière-boutique un débit à vins qui devint rapidement le lieu de rencontre privilégié des compagnons de la capitale[11].

En , poursuivant son action en faveur du regroupement des compagnonnages, il en réunit un grand nombre de compagnons dans un banquet à Vaugirard. En 1863, il entreprit son dernier tour de France[8]. Lors de celui-ci, il reçut de partout le plus chaleureux des accueils[11].

Après la proclamation de la république le , il fut nommé maire-adjoint du 12e arrondissement de Paris, fonction qu'il occupa pendant le siège de la capitale. En tant qu'adjoint, il présida à l'élection des chefs de sections d'un grand nombre de compagnies de Gardes Nationaux. Puis tenta d'organiser dans son secteur la défense de la capitale pour pallier un peu la tactique immobiliste du gouvernement[11].

Souffrant de bronchite chronique, il dut démissionner de ses fonctions et continua son combat par la plume, préconisant le suffrage universel, l'abolition de la peine de mort, la liberté de la presse et la suppression du budget des cultes. Sentant ses forces décliner, il vendit son commerce parisien et ses quelques biens de Morières pour apurer ses dettes.

Une congestion cérébrale l'emporta[11], le à Paris. Il décéda totalement démuni, laissant la mémoire d’un homme qui n'avait jamais cessé de marcher vers le but qu’il s’était fixé : le bonheur et le bien-être des travailleurs[1]. Selon ses désirs, il eut droit à des funérailles civiles. Une foule énorme l'accompagna au Cimetière du Père-Lachaise (85e division)[12]. Sa tombe, sur laquelle ses amis firent élever une ruche, symbole du travail, fait toujours l'objet de fréquentes commémorations de Compagnons de tous rites[11].

Proudhon le désigna comme « le Saint-Vincent de Paul du compagnonnage », Daniel Halévy comme le « premier syndicaliste »[13].

Œuvres

Chansons

Poèmes

Ouvrages techniques

Ouvrages sur le Compagnonnage

Histoire

Théâtre

Politique

Accès aux textes d'Agricol Perdiguier

Source partielle

Notes et références

  1. a b c d e f g h i j k l m n o p et q Saltarelli 2005, p. 5.
  2. a et b Marc Maynègre, op. cit., p. 9.
  3. a b c d e f et g Maynègre 2006, p. 10.
  4. Le chapier est une armoire à chasuble ou chape.
  5. Maynègre 2006, p. 40.
  6. Lettre d'Agricol Perdiguier en date du 17 octobre 1871 au journal chartrain L'Union Agricole . Archives départementales d'Eure-et-Loir, cote PER 13 1871.
  7. Lettre d'Agricol Perdiguier au journal chartrain L'Union Agricole du 19 octobre 1871. Archives départementales d'Eure-et-Loir, cote PER 13 1871.
  8. a b c d et e Philippe Guillot, op. cit., p. 6.
  9. a b c d e et f Maynègre 2006, p. 11.
  10. Journal de la Grande Loge de France, no 66, avril 2006, p. 8.
  11. a b c d e et f Maynègre 2006, p. 12.
  12. Jules Moiroux, Le cimetière du Père Lachaise, Paris, S. Mercadier, (lire en ligne), p. 273
  13. Ragon Michel, « Histoire de la littérature prolétarienne de langue française. » éditions Albin Michel, 1974. p. 98

Voir aussi

Bibliographie

Articles connexes

Liens externes

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