Carmina Burana, œuvre musicale

Les Carmina Burana sont une cantate scénique composée par Carl Orff en 1935-1936. Le titre complet, en latin, est « Carmina Burana : Cantiones profanæ, cantoribus et choris cantandæ, comitantibus instrumentis atque imaginibus magicis », soit en français : Poèmes chantés de Beuern : Chants profanes, pour chanteurs solistes et chœurs, avec accompagnement instrumental et images magiques.

Les Carmina Burana sont une partie des Trionfi, une trilogie musicale incluant les cantates Catulli Carmina et Trionfo di Afrodite. Le mouvement le plus célèbre est le chœur initial O Fortuna, repris ensuite de manière écourtée à la fin de l'œuvre.

Livret

L'œuvre de Carl Orff est fondée sur 24 poèmes médiévaux tirés d'un recueil appelé Carmina Burana. Ce nom signifie littéralement : « Poèmes chantés de Beuern » ou « Chants de Beuern », en référence au monastère de Benediktbeuern, où ont été découverts les manuscrits.

Orff entra en contact avec ces textes pour la première fois dans Wine, Women, and Song, publié par John Addington Symond en 1884, qui comprenait une traduction en anglais de 46 poèmes du recueil. Michel Hofmann, étudiant en droit et amateur de latin et de grec, a aidé Orff à sélectionner et organiser 24 de ces poèmes afin de former un livret.

Le livret contient donc des textes en latin, moyen haut-allemand (Mittelhochdeutsch[1]) et ancien français. Les sujets, profanes, dont il traite sont nombreux et universels : la fluctuation constante de la fortune et de la richesse, la nature éphémère de la vie, la joie apportée par le retour du printemps, les plaisirs de l'alcool, la chair, le jeu, la luxure, etc.

Quelques rares poèmes ont une notation musicale schématique en neumes, mais Orff ne s'en est pas inspiré : cette notation lui était-elle étrangère, ou bien pensait-il que la musique du Moyen Âge n'intéresserait pas son public ? Ce n'est qu'à partir de 1950 environ que de nombreux interprètes ont pu aborder de manière plus scientifique et plus vivante les musiques du Moyen Âge, après les travaux de musicologues comme Jacques Chailley (et d'autres avant lui[2]), et après que l'abbaye Saint-Pierre de Solesmes eut entrepris (dès le XIXe siècle) de retrouver l'authenticité du chant liturgique de l'Église catholique (le chant grégorien). Les interprètes ont également développé l'organologie[3] médiévale et se sont enrichis de l'étude de plusieurs musiques de tradition orale.

Instrumentation

Version originale

Fortuna Imperatrix Mundi Fortune, Impératrice du Monde
1. O Fortuna Latin Ô Fortune chœur
2. Fortune plango vulnera Latin Je pleure les blessures de la Fortune chœur
I – Primo vere Au printemps
3. Veris leta facies Latin Le visage joyeux du printemps petit chœur
4. Omnia Sol temperat Latin Le soleil régit toutes choses baryton
5. Ecce gratum Latin Voici le bienvenu chœur
Uf dem anger Sur le pré
6. Tanz   Danse instrumental
7. Floret silva nobilis Latin/Moyen haut-allemand La noble forêt fleurit chœur
8. Chramer, gip die varwe mir Moyen haut-allemand Marchand, donne-moi de la couleur chœur (petit et grand)
9. a) Reie   Ronde instrumental
9. b) Swaz hie gat umbe Moyen haut-allemand Celles qui tournent chœur
9. c) Chume, chum, geselle min Moyen haut-allemand Viens, viens mon compagnon petit chœur
9. d) Swaz hie gat umbe (reprise) Moyen haut-allemand Celles qui tournent chœur
10. Were diu werlt alle min Moyen haut-allemand Si le monde entier était à moi chœur
II – In Taberna Dans la taverne
11. Estuans interius Latin Rongé intérieurement baryton
12. Olim lacus colueram Latin Jadis j'habitais sur un lac ténor, chœur d'hommes
13. Ego sum abbas Cucaniensis Latin Je suis l'abbé de Cocagne baryton, chœur d'hommes
14. In taberna quando sumus Latin Quand nous sommes à la taverne chœur d'hommes
III – Cour d'amours Cour d'amours
15. Amor volat undique Latin L'amour vole de toutes parts soprano, chœur d'enfants
16. Dies, nox et omnia Latin/Ancien français Le jour, la nuit et toutes choses baryton
17. Stetit puella Latin Une jeune fille était là soprano
18. Circa mea pectora Latin/Moyen haut-allemand Dans mon cœur baryton, chœur
19. Si puer cum puellula Latin Si un garçon avec une fille baryton, chœur d'hommes
20. Veni, veni, venias Latin Viens, viens, ô viens double chœur
21. In trutina Latin Dans l'hésitante balance de mes sens soprano
22. Tempus est jocundum Latin Le temps est joyeux soprano, baryton, chœur d'enfants
23. Dulcissime Latin Ô très cher soprano
Blanziflor et Helena Blanche-fleur et Hélène
24. Ave formosissima Latin Salut à toi la plus belle chœur
Fortuna Imperatrix Mundi Fortune, Impératrice du Monde
25. O Fortuna (reprise) Latin Ô Fortune chœur

Voix

Instruments

Versions réduites

Structure

Les Carmina Burana sont divisés en cinq sections, qui sont à leur tour divisées en plusieurs mouvements. Il y a en tout 25 mouvements dans la cantate (en ne considérant pas que le premier et le dernier sont les mêmes). Orff a placé l'indication attaca entre tous les mouvements d'une même scène. Entre parenthèses les numéros des manuscrits originaux dont il n'a gardé quelquefois que certains couplets.

La majorité de la structure de l'œuvre est basée sur le concept de la Roue de la Fortune. Le dessin de cette roue, qui se trouve sur la première page du manuscrit, est accompagné de quatre phrases autour de la roue :

« Regnabo, Regno, Regnavi, Sum sine regno »

« [Je règnerai, Je règne, J'ai régné, Je suis sans règne] »

À l'intérieur de chaque scène, et parfois même à l'intérieur d'un mouvement, la Roue de la Fortune (dans le sens de chance) tourne ; la joie se transforme en amertume et l'espoir en deuil. O Fortuna, le premier poème dans l'édition Schmeller, est à la fois le premier et le dernier mouvement de l'œuvre.

Analyse musicale

Le style musical d’Orff exprime un désir d'accessibilité et de communication directe. Les Carmina Burana ne contiennent quasiment pas de développement au sens classique du terme et leur polyphonie est généralement simple. Orff évite la complexité harmonique et rythmique, ce qui, esthétiquement, déplaît à plusieurs musiciens[réf. nécessaire]. Malgré de fréquents changements métriques, cette simplicité tranche avec la complexité de certains de ses contemporains, tels que Bartók, Stravinsky ou Schönberg.

Mélodiquement, Orff s'est inspiré de compositeurs de la fin de la Renaissance et des débuts du baroque tels William Byrd et Claudio Monteverdi. Contrairement à certaines croyances, il ne s'est pas inspiré des quelques mélodies neumatiques (notées succinctement en neumes) du manuscrit. Ses orchestrations chatoyantes montrent l'influence de Stravinsky, en particulier de son ballet intitulé Les Noces. Pour Orff comme pour Stravinsky, le rythme est l'élément principal de la musique. [réf. nécessaire]

Mise en scène

Orff a développé une conception dramatique nommée Theatrum mundi selon laquelle la musique, le mouvement et la parole sont inséparables. Babcock écrit que « la formule artistique de Carl Orff limite la musique de manière que chaque moment musical doit être accompagné d'une action sur la scène. C'est pour cela que les productions modernes des Carmina Burana ne correspondent pas aux intentions de Orff ».

Malgré le fait que les Carmina Burana ont été conçus comme une œuvre dramatique incluant de la danse, des décors et d'autres éléments de mise en scène, l'œuvre est maintenant habituellement présentée dans les salles de concert en tant que cantate. Par contre, certaines productions utilisent tout de même une mise en scène (Théâtre du Silence de Brigitte Lefèvre et CoRéAM de Jean-Yves Gaudin à La Rochelle en 1983, filmé par FR3, Sergio Simon et Guy Condette à Limoges en 2008 ; Fura del Baus, Orchestre National de Lyon et chœur Orfeon Pamplonés aux Nuits de Fourvière 2011; à Velaux 13880, espace Nova, en septembre 2012, mise en espace de André Leveque et direction Jan Heiting; concert-ballet de Claude Brumachon présenté au Festival de danse de Cannes le 16 décembre 2017 et filmé par France 3).

Accueil

La création des Carmina Burana eut lieu à Francfort, par le vieil opéra de Francfort le (chef d'orchestre : Bertil Wetzelsberger, chœur : Cäcilienchor, mise en scène : Otto Wälterlin, costumes : Ludwig Sievert). Peu de temps après le succès de son œuvre, Orff écrit à son éditeur, Schott Music :

« Pourriez-vous, s'il vous plaît, vous débarrasser de tout ce que j'ai écrit jusqu'à maintenant et qui a malheureusement été publié par vous ? Avec les Carmina Burana commence le catalogue de mes œuvres ! »[4]

Plusieurs autres productions ont été faites en Allemagne. Malgré le malaise du gouvernement nazi concernant les propos érotiques de certains textes et les influences russes, l'œuvre devint avec le temps la plus célèbre pièce composée en Allemagne nazie. Les Carmina Burana sont donc devenus une œuvre controversée, d'autant plus qu'elle a été considérée par le régime nazi comme une célébration de la race aryenne. En revanche, après la guerre, la popularité de l'œuvre continua de croître, si bien qu'elle fit son entrée dans le répertoire classique international dans les années 1960. C'est en 1966 qu'elle fut jouée pour la première fois en Israël et en 1967 en URSS, sous la direction de Grigori Sandler.

Même si quarante-deux ans est un âge relativement avancé pour connaître une renaissance musicale telle qu'Orff l'a vécue avec Carmina Burana, la demande qu'il a adressée à son éditeur a été respectée par presque tout le monde. Aucune autre de ses compositions n'approche la popularité de Carmina Burana, comme l'indique la célébrité d'« O Fortuna » et les persistantes productions et enregistrements. Pour la majorité de la population, la collection d'œuvres d'Orff commence et se termine avec Carmina Burana. Orff a bien sûr composé d'autres pièces après, par exemple Catulli Carmina et Trionfo di Afrodite, mais ces dernières sont moins accessibles au grand public. Sa pédagogie d'éducation musicale active, le "Orff-Schulwerk", a également contribué à le faire connaître auprès du public.

Carmina Burana, source d'inspiration pour d'autres créations

Les Carmina Burana ont été une source d'inspiration d'artistes dans beaucoup de domaines.

En musique

En littérature

Carmina Burana est aussi un poème de Jacques Prévert publié dans Choses et autres. Dans ce texte, il rend hommage à ces chants profanes, à Carl Orff et sa musique.

Serge Hutin écrit[5] à propos de l'orchestration des Carmina Burana par Carl Orff en 1937 qu'il s'agissait « d'une musique aux effets immédiats et volontairement étranges sur le psychisme où l'on retrouve (ce n'est sûrement pas un hasard) des motifs sacrés — véritables mantras tantriques — d'Asie centrale. Le thème majeur des Carmina Burana (celui du monde matériel soumis à l'inexorable tyrannie de la « roue de la fortune », arbitraire et aveugle) est tout à fait tantrique d'inspiration ; encore plus, l'idée, si frappante dans les Carmina Burana, d'une possible évasion des implacables apparences matérielles par l'extase des amants. […] il deviendrait de plus en plus malaisé […] de persister dans l'idée d'une cloison irrémédiable entre l'Orient et l'Occident. »

En audiovisuel

Basil Poledouris a utilisé des extraits de Carmina Burana pour la bande originale de Conan le Barbare de John Milius

En sport

Enregistrements notables

Un enregistrement typique dure autour d'une heure (entre 55 et 65 minutes dans les versions classiques).

Versions autorisées

Orff a qualifié de "version autorisée" trois enregistrements, chronologiquement :

Versions indépendantes

D'autres enregistrements notables incluent, chronologiquement :

Adaptations

Des adaptations (avec chœurs) pour d'autres instrumentations, chronologiquement :

Version Killmayer (pour deux pianos, percussions, chœurs et solistes)

Réduction de 1956 autorisée par Orff.

Version Mas Quiles (pour solistes, chœurs et harmonie)

Transcriptions

Des transcriptions (sans chœurs) pour d'autres instruments, chronologiquement :

Film

Sources

Notes et références

  1. Des reconstructions de la prononciation des textes en moyen-haut-allemand utilisés dans Carmina Burana se trouvent dans John Austin 1995 "Pronunciation of the Middle High German Sections of Carl Orff's 'Carmina Burana'" The Choral Journal 36.2:15–18 (en anglais), et dans Guy A.J. Tops 2005 "De uitspraak van de middelhoogduitse teksten in Carl Orffs Carmina Burana" Stemband 3.1:8–9 (en néerlandais). Les deux avec transcriptions phonétiques API).
  2. Par exemple Edmond de Coussemaker, dans son Art harmonique aux XIIe et XIIIe siècles, publié en 1875, etc.
  3. Étude des instruments.
  4. https://www.lacote.ch/sortir/festivals-musique-concerts-cinema/musique-classique-musique-de-chambre-opera/carmina-burana-829508
  5. Histoire de l'alchimie, éditions Marabout, 1971, pp. 110 et 111.
  6. Pochette du disque du générique de l'émission.