Denis Vrain-Lucas
Denis Vrain-Lucas (gravure, vers 1870).
Biographie
Naissance
Décès
(à 64 ans)
ChâteaudunVoir et modifier les données sur Wikidata
Nationalité
Activités

Denis Vrain-Lucas, dit « Vrain-Lucas », né le à Lanneray (Eure-et-Loir) et mort le à Châteaudun[N 1], est un faussaire littéraire français. Il est connu pour être l'auteur de la « collection Chasles », ensemble substantiel de faux manuscrits qu'il est parvenu à vendre au mathématicien Michel Chasles, prétendant qu'il s'agissait d’originaux.

Jeunesse et premiers métiers

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Fils d'un ouvrier agricole journalier et d'une mère servante, il travaille très jeune dans les fermes mais apprend à lire et écrire à l'école communale et fait des études brillantes, mais ne passe pas le baccalauréat[1].

Autodidacte, il est successivement clerc d'avoué, greffier près le tribunal de Châteaudun puis commis au Bureau des hypothèques en 1847. En 1852, il se rend à Paris pour obtenir le poste de catalogueur à la Bibliothèque impériale (l'actuelle BnF) mais il n'est pas accepté, sous le prétexte qu'il n'est pas bachelier. Il pose également sa candidature à la librairie Auguste Durand, auprès de laquelle il est recommandé, mais n'est pas retenu, sous le motif qu'il ne sait pas le latin. Devant nourrir sa famille, il accepte le poste de placier dans le cabinet généalogique Courtois-Letellier dont la vocation principale est de produire de faux arbres de noblesse aux bourgeois en mal de titres. Il acquiert là une habileté peu commune à contrefaire les supports et les écritures, notamment en faisant vieillir à la chandelle et à l'eau sale les encres et les papiers[2].

L'escroquerie qui le rend célèbre

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Le faux laissez-passer accordé par Vercingétorix à Trogue Pompée : « J'octroye le retour du jeune Trogues Pompens auprès de Jules César son maître et ordonne à tous qui ces lettres verront le laissez-passer librement et l'aider au besoin. » (fonds BnF).

Rencontre avec Michel Chasles et fourniture de nombreuses lettres

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En 1861 il commet, aux dépens du célèbre mathématicien Michel Chasles, membre de l'Institut et originaire, comme lui, d'Eure-et-Loir, l'escroquerie qui le rend célèbre. Se présentant à lui comme l'intermédiaire officieux d'un érudit dans l'embarras, le comte de Bois-Jourdain obligé de se séparer d'une incomparable collection d'autographes, il lui vend nombre de pièces fausses et, encouragé par l'extrême naïveté de l'acheteur, lui apporte successivement des lettres de Molière, Racine, Pythagore, d'Alexandre le Grand à Aristote, de Lazare à saint Pierre, de Marie-Madeleine, de Cléopâtre à Jules César[3]. Il en a en réserve une foule d'autres ayant pour auteurs supposés Judas Iscariote, Ponce Pilate, Jeanne d'Arc, Rabelais, Charles Quint, Shakespeare, Galilée, Montesquieu, Cicéron et Dante Alighieri — toutes écrites dans un ancien français de fantaisie[N 2], encore à peu près lisibles et compréhensibles pour les contemporains de Chasles, certains des feuillets portant en filigrane une fleur de lys. Enfin il lui communique deux lettres de Pascal semblant établir que celui-ci avait découvert la loi de l'attraction universelle avant Newton, ce qui ne pouvait que flatter l'orgueil national[4]. Aussi Chasles s'empresse-t-il de présenter ces lettres à l'Académie des sciences.

Le mathématicien, « pressé » par ses confrères académiciens d'en présenter d'autres, passe commande de nouveaux documents à Vrain-Lucas. Ce dernier vend ainsi à son « client » diverses lettres fabriquées selon le même procédé et censées émaner de figures historiques et bibliques — comme une lettre de menace de Caïn à Abel — parmi les plus renommées de l'Histoire.

Polémique sur les « lettres » de Chasles

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Il s'ensuit une polémique, où l'Académie française elle-même prend le parti de Michel Chasles. Quand il leur montre les lettres, quelques-uns de ses collègues font observer que l'écriture des documents présentés est très différente de celle des lettres qui sont historiquement certifiées écrites par Pascal.

Face aux doutes qui se font jour dans l'esprit des académiciens, Chasles se trouve contraint d'indiquer qu'il tient ces lettres de Vrain-Lucas. En 1869, craignant de voir lui échapper des pièces importantes, Chasles fait surveiller Vrain-Lucas par la police pendant un mois. Chasles réclamant à Vrain-Lucas trois mille autres pièces qu'il tarde à fournir, le mathématicien craint qu'il ne vende à l'étranger ces pièces inestimables et se résout à le faire arrêter pour escroquerie et abus de confiance[5].

Arrestation et procès de Vrain-Lucas

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Arrêté le pour escroquerie et abus de confiance, interrogé et rapidement confondu avec l'aide de deux experts paléographes, Henri Bordier et Émile Mabille[6], le faussaire passe aux aveux. Au cours du procès, l'avocat impérial, à la sidération puis à l'hilarité de la salle, donne lecture des faux autographes suivants :

Le , Denis Vrain-Lucas est condamné par la 6e chambre correctionnelle de la Seine à deux ans d'emprisonnement et 500 francs d'amende ainsi qu'aux dépens[7]. Il a, sur une durée de huit ans, forgé plus de 29 472 autographes, lettres, documents et manuscrits émanant de 660 personnalités[8] et s'échelonnant de l'Antiquité classique au siècle des Lumières, et au total soutiré près de 140 000 francs or à sa victime. Le , Chasles doit reconnaître qu'il a été berné et expliquer comment il a acheté un si grand nombre de faux dus à Vrain-Lucas et combien il a perdu d'argent dans cette malheureuse affaire, qui de surcroît l'a ridiculisé auprès de ses collègues de la communauté scientifique[9].

Après le procès de 1870, les 27 320 faux autographes vendus à Chasles par Vrain-Lucas sont détruits à l'exception d'un petit nombre d'entre eux, qui sont offerts par Bordier et Mabille « avec la permission de l'autorité judiciaire » au département des manuscrits de la BnF et réunis en un volume de 180 folios conservé sous la cote N(ouvelles) A(cquisitions) F(rançaises) 709[N 3],[11].

Dernières années

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En 1872, après sa sortie de prison de Mazas où il a rédigé un plaidoyer[N 4], Vrain-Lucas commet d'autres délits (vols de livres rares dans des bibliothèques, abus de confiance) et est arrêté le puis condamné de nouveau à trois ans de prison. En 1876, il écope à nouveau de quatre autres années de prison. Sa dernière peine purgée, il regagne l'Eure-et-Loir et se livre au commerce des livres anciens à Châteaudun, où il meurt le [12],[13].

Annexes

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Bibliographie

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Complémentaire

Émissions de radio

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Articles connexes

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Liens externes

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Notes et références

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Notes

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  1. Actes de naissance et de décès disponibles sur l'état civil en ligne d'Eure-et-Loir. La notice d'autorité de la BnF indique, à tort, un décès en 1882.
  2. Lorsque l'auteur de ces lettres est étranger, Vrain-Lucas explique qu'elles ont été traduites et recopiées.
  3. Les pièces les plus curieuses ont été publiées par Georges Girard en 1924[10].
  4. Il qualifie ses documents d'« extraits sous forme de lettres simulées puisées dans des manuscrits authentiques ».

Références

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  1. Bordier et Mabille 1870, p. 94.
  2. Poirier 2002, p. 10-11.
  3. Braudeau 2006, p. 34.
  4. Newton a-t-il plagié Pascal ?.
  5. Lemire 2011, p. 107.
  6. Charavay 1870.
  7. Massé 2007, p. 109.
  8. Beaud, Arzenton et Berruyer 1988, p. 70.
  9. Massé 2007, p. 107.
  10. Girard 2002.
  11. Spécimen des faux autographes fabriqués par Vrain Lucas... et vendus à M. Michel Chasles sur Gallica
  12. « Registre des décès de Châteaudun », sur www.archives28.fr (consulté le )
  13. Massé 2007, p. 110.
  14. « L’INTÉGRALE - Denis Vrain-Lucas, faussaire », sur Europe 1, (consulté le )
  15. « L’Affaire Vrain Lucas, le "Balzac du faux" », sur France Culture, (consulté le )