En sémiologie psychiatrique, la douleur morale (ou douleur psychologique) correspond à un état de détresse psychique observé dans les dépressions profondes.
Cette forme de douleur fait partie des douleurs sans lésion identifiable) ; Cet état psychique et émotionnel est perçu par le patient comme sans fin et psychiquement très douloureux voire insoutenable dans les cas extrêmes[1]. La douleur psychique est parfois vécu comme une douleur physique réelle, ou par ailleurs associés à des douleurs physiques (qui ont pu causer ou favoriser une situation dépressive) ; « La douleur, symptôme de dépression, est retrouvée chez 92 % des patients hospitalisés pour dépression. En médecine ambulatoire, on retrouve 63,2 % de douleurs musculaires et 48 % de lombalgie chez les patients dépressifs (...) La dépression est symptôme de douleur chronique pour 17 à 22 % des patients douloureux chroniques en population générale. Elle concerne 31,5 % des patients en structure douleur chronique. En considérant la dépression caractérisée et la dysthymie, le pourcentage atteint 64 % »[2],[3]. Chez des sujets sains la neuroimagerie a récemment mis en évidence des réseaux neuraux communs à la douleur morale et à la douleur physique[3].
La douleur morale est souvent associée à des idées suicidaires, et peut réellement conduire au suicide.
La douleur psychique, notamment liée aux amours impossibles, aux deuils et à certaines situations d'injonction paradoxale est fréquemment évoquée, depuis l'antiquité archaïque et classique, et jusqu'à nos jours dans les chants, la poésie, la tragédie[4], le cinéma ou les romans.
Le premier travail écrit ayant porté sur ses aspects extrêmes et pathologiques est attribué à Joseph Guislain, médecin belge ayant vécu de 1797 à 1860, qui enseignait à Gand.
Selon lui, dans la mélancolie sans délire, le patient est absorbé dans un sentiment douloureux ; affecté d'une « douleur morale, intellectuelle ou cérébrale ». Selon son traité de phrénopathie (1835), la douleur morale est en cause dans toute aliénation mentale. « La douleur morale peut constituer à elle seule, une maladie entière, alors elle représente la mélancolie affective, la mélancolie sans délire ».
Pierre-Jean-Georges Cabanis (1757-1808), dans un chapitre sur l’histoire de la physiologie des émotions parlait de « malheur moral » (« le malheur moral augmente la force d’âme, quand il ne va pas jusqu’à l’abattre »). A la même époque, pour Cabanis le moral, chez l'Homme, évoque toutes les sensations et impressions « que le cerveau digère en quelque sorte » pour sécréter la pensée.
Ce concept est associé depuis le XIXe siècle aux notions de peine, chagrin, tristesse, frayeur, perte, et parfois à la mélancolie amoureuse ou au deuil ; autant de notions très subjectives et difficiles à quantifier. Selon Wilhelm Griesinger (1817- 1868), la douleur morale peut s'exprimer de manières différentes : agitation, anxiété ou tristesse[5].
Pour Jules Séglas (1856-1939) la forme non délirante de la mélancolie résulte directement d'une douleur psychologique extrême, un trouble de la sensibilité morale, qui envahit tous les aspects de la conscience de l'individu. Séglas attire l'attention sur le fait que cette douleur peut induire le geste suicidaire[5].
Henri Ey considère la douleur morale comme le syndrome fondamental de la mélancolie dépressive, aussi associée à l’inhibition psychomotrice, au pessimisme et à l’aboulie [5].
En 2013, bien que le concept de "douleur psychologique" en soit l'une des traductions anglophones, la notion (ni même le mot anglais pain) n'apparaissent pas dans le DSM-5, ni dans la CIM-10 parmi les critères de dépression profonde ou majeure, probablement car non objectivement quantifiable ou à ce jour difficilement évaluable. Une notion de «détresse cliniquement significative» est cependant évoquée pour qualifier des épisodes dépressifs majeurs.
Depuis les années 1960, divers auteurs ont cherché à préciser ce concept :
La douleur psychologique est l'une des expériences humaines courantes. Elle peut être intense (lors de la perte d'un enfant ou d'un proche par exemple). Elle peut être pathogène ou pathologique quand elle devient trop envahissante et persistante, et qu'elle nuit à des processus cognitifs et comportementaux importants, voire vitaux[23]. La psychométrie cherche donc à améliorer sa mesure même si comme pour la douleur physique, l'intensité de la douleur morale est très difficile à appréhender.
Des tests visuels (ex : Test de Roschach[24] ou basés sur un questionnaire cherchent à faciliter la détection, l'objectivation et l'évaluation de la douleur morale).
Plusieurs tests visent à positionner le ressenti du patient par rapport à une échelles de douleur morale, pour notamment mieux évaluer le risque de suicidalité[25] :
Il existe aussi des questionnaire sur :
Vers 2010, un groupe de psychiatres et psychologues américains a produit une échelle d'auto-évaluation (dite « Mee-Bunney Psychological Pain Assessment Scale » [MBPPAS]) spécifiquement dédiée à l’auto-évaluation de l'intensité de la douleur psychologique, outil qui selon ses auteurs peut aider évaluer le risque suicidaire au moment du test[37].
Des recherches récentes en neuro-imagerie pourraient peut être conduire un jour à visualiser dans le cerveau même le degré de souffrance subie par le patient.
Des études utilisant l'imagerie cérébrale cherchent à détecter les zones du cerveau et les réseaux neuronaux en cause : le thalamus, le cortex cingulaire antérieur, le cortex cingulaire postérieur, le cortex préfrontal, le cervelet et le gyrus parahippocampique semblent impliqués dans la douleur morale[5].
Chez des sujets sains la neuroimagerie a récemment mis en évidence des réseaux neuraux communs à la douleur morale et à la douleur physique[3]. Ceci pourraient expliquer que des patients souffrant de douleurs chroniques soient plus facilement victimes d'épisodes dépressifs (et inversement) ; ceci expliquerait aussi l’efficacité des antidépresseurs (tricycliques et inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline (IRSNA) notamment, à la fois contre certaines douleurs chroniques et contre la dépression profonde, et plaide pour l'utilisation d'antalgiques (ex : kétamine) dans le soulagement de la douleur morale[3].