Petits morceaux de fibres de carbone (longueur 8 mm).

La fibre de carbone se compose de fibres extrêmement fines, d'environ cinq à dix micromètres de diamètre, et est composée principalement d'atomes de carbone. Ceux-ci sont agglomérés dans des cristaux microscopiques qui sont alignés plus ou moins parallèlement à l'axe long de la fibre. L'alignement des cristaux rend la fibre extrêmement résistante pour sa taille. Plusieurs milliers de fibres de carbone sont enroulées ensemble pour former un fil, qui peut être employé tel quel ou tissé.

Ce matériau est caractérisé par sa faible densité (1,7 à 1,9), sa résistance élevée à la traction et à la compression, sa flexibilité, sa bonne conductivité électrique et thermique, sa tenue en température et son inertie chimique (sauf à l'oxydation).

Sa principale utilisation est de servir de renfort dans les matériaux composites, ce qui permet d'obtenir des pièces ayant de bonnes propriétés mécaniques tout en étant nettement plus légères que les pièces métalliques.

Historique

La première application des fibres de carbone a été le développement de fils pour les lampes à incandescence. Joseph Swan produit les premières fibres en 1860. Il s'agit tout d'abord de filaments de papier carbonisé, il améliore ensuite la qualité des fils de carbone en utilisant des fibres de coton carbonisées[1]. À partir de 1879, Thomas Edison utilise des fibres de bambou carbonisées à haute température. En 1880, Lewis Latimer améliore le procédé de Thomas Edison pour obtenir des filaments de carbone fiables, permettant d'obtenir des durées de fonctionnement des ampoules de plusieurs centaines d'heures[2]. À partir de 1892, l'éclairage électrique sera délaissé au profit de l'éclairage par chauffage de manchons à incandescence pour l'éclairage public et la production de fils de carbone sera abandonnée pendant plusieurs dizaines d'années.

En 1958, Roger Bacon (en) voulait déterminer le point triple du carbone en chauffant à haute température du carbone dans un four à arc, il observa la formation de filaments de carbone. Il continua d'étudier la formation de ces filaments pour aboutir à une méthode de préparation qui fut brevetée[3],[4]. Le procédé était basé sur la carbonisation de fibres de viscose, il fut utilisé par Union Carbide (dont la branche carbone deviendra ensuite Graphtec). Les propriétés mécaniques de ces fibres étaient cependant limitées car leur teneur en carbone était faible. En 1960, Akio Shindo produisit des fibres de carbone de meilleure qualité à partir de polyacrylonitrile (fibres ex-PAN). Durant la même période, Richard Millington améliorait le procédé de fabrication des fibres à partir de viscose[5]. Leur forte teneur en carbone (99 %) et leurs bonnes propriétés mécaniques permirent d'envisager leur utilisation comme renfort dans des matériaux composites. Durant cette décennie, des recherches sont menées pour trouver de nouveaux précurseurs carbonés pour obtenir des fibres. Elles aboutissent à des procédés de fabrication de fibres de carbone à partir de brai de pétrole.

En 1963, W. Watt, L. N. Phillips, et W. Johnson (Royal Aircraft Establishment à Farnborough, Hampshire) développent un procédé pour élaborer des matériaux composites. Rolls-Royce utilise ce procédé pour fabriquer les aubes de compresseur de ses moteurs RB211. Ces composites sont cependant sensibles aux chocs (ex. : les collisions avec les oiseaux), ce qui limitera leur utilisation en aéronautique. Durant la même période, le gouvernement japonais soutient très activement le développement de la production industrielle de fibres de carbone, et plusieurs sociétés développent cette activité (Toray, Nippon Carbon, Toho Rayon, Mitsubishi). Le Japon devient leader dans le domaine des fibres de carbone fabriquées à partir de PAN.

Demande mondiale en fibres de carbone.

Dans les années 1970, le marché mondial est dominé par Union Carbide qui utilise le procédé Toray. La société Courtaulds est le seul fournisseur anglais important. Cette société restera un fournisseur important de matériaux composites pour les applications dans le sport jusqu'à la fin des années 1980. Les États-Unis et l'Europe incitent aussi des sociétés telles que BASF, Celanese ou Akzo à développer une production industrielle de fibres de carbone.

Répartition par pays de la production mondiale de fibres de carbone en 2015.

Depuis la fin des années 1970, de nombreux développements ont conduit à la production de fibres ayant des propriétés mécaniques adaptées à de nombreuses applications différentes. On distingue principalement les fibres à haut module et les fibres à haute ténacité. La demande en matériaux composites est en augmentation constante, principalement portée par l'industrie aéronautique, de la défense ou éolienne. Ceci a conduit à l'apparition de nouveaux acteurs sur ce marché tels que la Chine ou la Corée du Sud[6]. Plus récemment, le besoin de remplacer les précurseurs carbonés issus de ressources fossiles par des précurseurs biosourcés a conduit à une activité de recherche dans le domaine des fibres à base de lignine[7]. Des fibres composites ont aussi été élaborées en utilisant des nanotubes de carbone comme structure[8].

Structure

On peut citer trois familles principales de fibres utilisées à grande échelle[9] :

Les fibres obtenues par dépôt chimique en phase vapeur à partir d'un précurseur de carbone tel que le benzène ont des propriétés et des applications différentes et sont en général appelées « nanofibres de carbone ».

Une fibre de carbone est un matériau dont la teneur en carbone est très élevée (supérieure à 90 % en masse). Au niveau atomique, une fibre est composée de feuillets de carbone polyaromatique empilés selon une structure qui peut être très proche de celle du graphite, mais qui peut aussi être plus désordonnée que le graphite (carbone turbostratique dans lequel l'empilement des feuillets de carbone comporte des défauts). Le niveau de graphitisation des fibres dépend du précurseur utilisé, mais aussi de la méthode d'élaboration utilisée[10]. L'agencement des empilements de feuillets de carbone constitue la microstructure des fibres de carbone, elle dépend aussi du précurseur de carbone et du procédé de synthèse.

Propriétés

Une fibre est un matériau monodimensionnel, c'est l'arrangement des fibres en deux ou trois dimensions qui permettra d'obtenir une pièce en composite C/C ayant de bonnes propriétés mécaniques. Les propriétés d'usage d'une fibre de carbone sont donc caractérisées dans le sens longitudinal de la fibre.

Le diamètre des fibres de carbone est aujourd'hui compris entre 5 et 10 µm. La densité des fibres de carbone est de l'ordre de 1,7. Ceci permet de concevoir des matériaux composites ayant une densité similaire, ce qui représente un allègement très important par rapport à des matériaux métalliques.

L'utilisation principale des fibres de carbone est l'élaboration de matériaux composites ayant des propriétés mécaniques améliorées pour un poids réduit. Les propriétés mécaniques sont donc les caractéristiques essentielles d'une fibre. Deux paramètres sont principalement utilisés[9] :

Propriétés mécaniques des fibres de carbone.

Une fibre ayant un module d'élasticité élevé se déformera très peu, mais pourra se rompre pour des contraintes modérées. Utilisée comme renfort, elle pourra conduire à un matériau ayant un caractère fragile. Ce type de fibre est nommée fibre à haut module. Une fibre ayant un module d'élasticité plus modéré aura une résistance à la rupture plus importante, elle pourra conférer au matériau composite une meilleure résistance à la rupture mais une déformabilité plus importante. Si une fibre de carbone a un caractère très graphitique et une structure très ordonnée, elle aura un module d'élasticité élevé, par contre elle aura un caractère fragile. Le contrôle de cette structure est obtenu par le choix du précurseur (une fibre ex-brai est en général plus graphitique qu'une fibre ex-PAN), mais aussi par l'utilisation d'un traitement thermique à très haute température.

Les fibres de carbone étant composées de domaines graphitiques, elles profitent des propriétés électriques du graphite. Le graphite est un matériau anisotrope ayant une très bonne conductivité électrique dans le sens des plans de graphène. Comme les domaines graphitiques sont orientés dans la direction longitudinale dans les fibres, ces dernières présentent aussi de bonnes propriétés thermiques et électriques selon la direction du fil. La résistivité électrique d'une fibre diminue donc si son caractère graphitique augmente, les valeurs varient de 900 µΩ cm pour une fibre à haut module (350 à 500 GPa) à 1 650 µΩ cm pour les fibres ayant des modules moins élevés (200 à 300 GPa)[11]. La conductivité thermique est elle aussi dépendante de la structure, elle peut varier de 20 W m−1 K−1 pour des fibres de module intermédiaire à 80 W m−1 K−1 pour des fibres à haut module[11].

Fabrication

Mécanisme de formation d'un feuillet polyaromatique à partir d'une chaîne de polyacrylonitrile.

Fibres ex-PAN

Les fibres obtenues à partir de polyacrylonitrile représentent la majeure partie des renforts utilisés dans les composites. Ceci est lié au fait qu'elles peuvent avoir de bonnes propriétés mécaniques tout en ayant un coût de fabrication modéré. Le PAN est un polymère dont la formule est [-CH2-CH(CN)-]n. Les étapes de fabrication sont les suivantes[12] :

Fibres ex-brai

Les fibres ex-brai peuvent être obtenues à partir de plusieurs types de précurseurs :

La composition d'un brai varie fortement en fonction de la méthode d'élaboration et du précurseur utilisé. Dans tous les cas, il contient une proportion de carbone aromatique importante sous forme de molécules polyaromatiques ayant une masse molaire de 400 à 600 g/mol[10]. Les fibres obtenues à partir de charbon peuvent contenir des particules de carbone solide, ce qui peut fragiliser les fibres de carbone obtenues, on utilise donc de préférence du brai de pétrole.

Fibres ex-cellulose

Le principal précurseur pour ce type de fibre est la cellulose. Ce matériau est appelé « rayonne », la forme normale de la rayonne est appelée « viscose ». L'élaboration d'un fil de rayonne comporte plusieurs étapes[15] :

À partir du fil de rayonne, les étapes permettant d'obtenir des fibres de carbone sont similaires à celles présentées pour les fibres ex-PAN.

Fibres ex-lignine

La lignine est le plus abondant bio-polymère contenant des structures aromatiques, elle représente entre 15 et 30 % des plantes. C'est un matériau qui est aujourd'hui disponible à un coût très modéré, par exemple comme sous-produit de la fabrication du papier. Sa structure chimique composée de structures aromatiques reliées entre elles pour former un réseau à deux dimensions, et le caractère thermoplastique de ce polymère font qu'il est possible de l'extruder pour obtenir des fibres et de le traiter thermiquement pour obtenir une fibre de carbone[16]. Le processus de fabrication de fibres de carbone à partir de lignine est donc très similaire à celui présenté dans les paragraphes précédents.

L'une des difficultés est que la lignine peut avoir une structure et des propriétés physiques différentes en fonction de la plante dont elle est issue, et du procédé utilisé pour la séparer des autres composants de la plante. Elle peut aussi contenir des impuretés. Les conditions d'extrusion des fibres, qui sont dépendantes de la température de transition vitreuse (Tv), doivent donc être choisies en fonction de la lignine utilisée. De plus, les propriétés finales de la fibre de carbone peuvent varier en fonction de la composition initiale de la lignine. Malgré ces difficultés, la lignine a de nombreux avantages : c'est un matériau bio-sourcé dont le coût est bas, elle a un bon rendement en carbone et son caractère thermoplastique permet de développer des procédés de fabrication efficaces. Les premiers brevets sur ce sujet datent des années 1960[17], mais la recherche sur l'optimisation de ces fibres et l'intégration des procédés de fabrication dans un concept de bio-raffinerie est devenue très active depuis le début du XXIe siècle (ex. : programme européen LIBRE Lignin Based Carbon Fibres for Composites[18]).

Fibres de nanotubes de carbone

Plusieurs procédés ont été développés pour élaborer des fils contenant des nanotubes de carbone. On peut citer[8] :

Les propriétés des fibres obtenues sont très dépendantes des nanotubes et de la méthode utilisés. Les applications visées pour ce type de fibres sont en général les textiles techniques.

Utilisations

Les fibres de carbone sont principalement utilisées pour servir de renfort dans les matériaux composites. Elles permettent d'obtenir des pièces de structure ayant de bonnes propriétés mécaniques : rigidité, résistance à la fissuration, etc., tout en ayant une densité faible par rapport aux matériaux métalliques.

Elles sont en général insérées dans le matériau composite sous la forme de fils entrecroisés ou de nappes tissées, une matrice est ensuite infiltrée dans le matériau pour en faire la pièce désirée. Pour une pièce donnée, il faut calculer un arrangement optimal du réseau de fibres. Le développement de ces pièces a donc un coût, ce qui fait que les matériaux composites à base de fibre de carbone sont utilisés principalement dans des applications critiques.

Le domaine d'application principal est l'industrie aéronautique et spatiale :

Le sport de compétition utilise aussi largement les matériaux composites, tant pour leur faible poids que pour leurs propriétés mécaniques améliorées :

La fibre de carbone est utilisée dans la facture instrumentale :

Dans d'autres domaines, on peut aussi citer :

Les tissus de fibres de carbone trouvent aussi des applications utilisés seuls :

Inconvénients

Essais de traction sur fibre de carbone

Il existe différents moyens de tester la traction des fibres de carbone. Une partie de ces moyens est listée ci-dessous[25].

Essais sur monofilament

Le filament, de diamètre de l'ordre du micromètre (dix fois plus fin qu'un cheveux), est dans un premier temps fixé sur un cadre en papier suivant la norme ISO 11566[26].

Essai de traction sur brins de filaments

Les brins de filaments sont dans un premier temps enrobés dans la résine. Puis, des talons sont placés à chaque extrémité de l'échantillon afin d'appliquer la force uniformément le long de celui-ci.

Essai de traction sur stratifiés

Ce sont les essais les plus répandus car ils sont plus simples à mettre en œuvre. Ils consistent à placer une éprouvette avec des stratifiés unidirectionnels ou multidirectionnels entre les mors puis à lancer l'essai.

Références

  1. Swan K. R. Sir Joseph Swan and the Invention of the incandescent electric lamp, Londres, Longmans, Green and Co., 1946, p. 21-25.
  2. Lewis H. Latimer, U.S. Patent 252,386 Process Of Manufacturing Carbons
  3. R. Bacon, Growth, Structure and Properties of Graphite Whiskers, Journal of Applied Physics, vol. 31, no 2, février 1960, p. 283-290.
  4. R. Bacon, Filamentary Graphite and Method for Producing the Same, US Patent 2 957 756.
  5. US Patent No. 3,294,489.
  6. T. Kraus, M. Kühnel et E. Witten, Composite Market Report 2015, Carbon Composites, lire en ligne.
  7. D. A. Baker et T. G. Rials, Recent advances in low-cost fiber manufacture from lignin, Journal of Applied Polymer Science, vol. 130, p. 713-728, 2013.
  8. a et b P. Miaudet, Structure et propriétés de fibres de nanotubes de carbone à haute énergie de rupture, thèse de l'université Bordeaux-I, 2007, lire en ligne.
  9. a et b P. Delhaes et P. Olry, Fibres de carbone et matériaux composites, L'Act. Chim., vol. 295-296, p. 42-46, 2006.
  10. a et b X. Huang, Fabrication and properties of carbon fibers, Materials, vol. 2 (4), p. 2369-2403, 2009, lire en ligne.
  11. a et b P.J. Walsh, Carbon Fibers, ASM Handbook, vol. 21, 2001, p. 35-40.
  12. X. Bertrand, Comportement en milieu oxydant d'un composite carbone/carbone pour applications structurales entre 150 et 400 °C dans l'aéronautique civile, thèse de l'université Bordeaux-I, 2013.
  13. Lewis, I.C., Process for producing carbon fibers from mesophase pitch, US Pat. 4032430, 1977.
  14. Diefendorf, R.J. et Riggs, D.M., Forming optically anisotropic pitches, US Pat. 4208267, 1980.
  15. J.D. Buckley et D.D. Edie, Carbon-carbon Materials and Composites, Noyes Publications, 1993.
  16. W. Fang, S. Yang, X.-L. Wang, T.-Q. Yuan et R.C. Sun, Manufacture and application of lignin-based carbon fibers (LCFs) and lignin-based carbon nanofibers (LCNFs), Green Chemistry, vol. 19, p. 1794-1828, 2017.
  17. S. Otani, Y. Fukuoka, B. Igarashi et S. Sasaki, US Patent 3461082, 1969.
  18. Programme H2020-EU.3.2.6. - Bio-based Industries Joint Technology Initiative, lire en ligne.
  19. Y.-L. Li, I. A. Kinloch, A. H. Windle, Direct spinning of carbon nanotube fibers from chemical vapor deposition synthesis, Science, vol. 304, p. 276, 2004
  20. R. Haggenmueller, H.H. Gommans, A.G. Rinzler, J.E. Fischer et K.I. Winey, Aligned single‐wall carbon nanotubes in composites by melt processing methods, Chemical Physics Letters, vol. 330, p. 219, 2000.
  21. B. Vigolo, A. Penicaud, C. Coulon, C. Sauder et al., Macroscopic fibers and ribbons of oriented carbon nanotubes, Science, vol. 290, p. 1331, 2000.
  22. « Race for Water MOD70 : Un bateau ambassadeur au service des océans », Race for Water (consulté le ).
  23. Histoire de Buffet crampon, sur buffet-crampon.com
  24. INRS, « Les fibres de carbone et de graphite. Éléments pour une évaluation du risque », (consulté le ).
  25. « Composites Essai », sur zwickroell.com (consulté le ).
  26. Ugo Simon, « Caractérisation de monofilaments de carbone », .

Annexes

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Articles connexes

Liens externes