Naissance |
19e arrondissement de Paris |
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Décès |
Ivry-sur-Seine |
Activité principale | |
Distinctions |
Langue d’écriture | français |
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Mouvement | Modernisme, Oulipo |
Œuvres principales
Georges Perec est un écrivain, un poète et verbicruciste français né le à Paris 19e et mort le à Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne). Membre de l'Oulipo à partir de 1967[1], il fonde ses œuvres sur l'utilisation de contraintes formelles, littéraires ou mathématiques, qui marquent son style[2].
Il se fait connaître dès son premier roman, Les Choses. Une histoire des années soixante (prix Renaudot 1965), qui restitue l'air du temps à l'aube de la société de consommation. Suivent, entre autres, Un homme qui dort, portrait d'une solitude urbaine, puis La Disparition, où il reprend son obsession de l'absence douloureuse. Ce premier roman oulipien de Perec est aussi un roman lipogrammatique (il ne comporte aucun « e »). Paraît ensuite, en 1975, W ou le Souvenir d'enfance, qui alterne fiction olympique fascisante et écriture autobiographique fragmentaire. La Vie mode d'emploi (prix Médicis 1978), dans lequel il explore de façon méthodique et contrainte la vie des différents habitants d'un immeuble, lui apporte la consécration. En 2012 paraît le roman Le Condottière, dont il avait égaré le manuscrit en 1966 pendant un déménagement et qui ne fut retrouvé qu'en 1992, dix ans après sa mort[3].
En 2017, il entre dans « La Pléiade ».
Son père, Icek Judko Perec[4] (1909-1940), et sa mère, Cyrla Szulewicz[note 1] (1913-1943), tous deux juifs d'origine polonaise, se marient en 1934. Georges Perec naît le , vers 21 h dans la maternité du 6 rue de l'Atlas (19e arrondissement de Paris)[note 2],[5], déclaré le 10 par une jeune employée de maison. Il passe sa petite enfance au 24 rue Vilin (à sa naissance ses parents habitent au 1), dans le quartier de Belleville, où sa mère tient un salon de coiffure jusqu'en 1942[6],[7]. Sa grand-mère paternelle, Rose, tient une épicerie tout à côté, au 23, passage de Pékin[8].
Engagé volontaire contre l'Allemagne dans la Seconde Guerre mondiale, Icek Perec est mortellement blessé par un obus le [9]. En 1941, la mère du petit Georges, pour lui sauver la vie, l’envoie en zone libre à Villard-de-Lans via un train de la Croix-Rouge. Il y est baptisé. Le petit Georges passe là le reste de la guerre avec une partie de sa famille paternelle, auprès de sa tante et son mari, Esther et David Bienenfeld[10]. Sa mère, arrêtée et internée à Drancy en , est déportée à Auschwitz le de la même année[11]. Georges retourne à Paris en 1945 où il est pris en charge par les Bienenfeld. Ces derniers ont deux filles, dont l’écrivaine Bianca Lamblin.
De 1946 à 1954, Georges Perec fait ses études à l'école communale de la rue des Bauches (Paris XVIe) avant d'intégrer le lycée Claude-Bernard, puis le collège Geoffroy-Saint-Hilaire d'Étampes où il aura comme professeur Jean Duvignaud[12] (avec qui, entre autres, il fondera en 1972 la revue Cause commune). En 1954, après une hypokhâgne au lycée Henri-IV, il commence des études d'histoire qu'il abandonne rapidement. En 1957, il cohabite au 16 rue Charlemagne à Paris.
De à , il effectue son service militaire à Pau, dans un régiment de parachutistes. À Paris en 1959, Georges Perec rencontre Paulette Pétras, étudiante à la Sorbonne, et ils se marient le [13]. Paulette Pétras étant nommée enseignante à Sfax en Tunisie, le couple s'y installe mais revient l'année suivante[13]. Perec devient en 1962 documentaliste en neurophysiologie au CNRS. Il se sépare de Paulette en 1969, mais ils ne divorceront jamais, restant malgré tout étroitement liés jusqu'à la mort de Perec. On lui doit le titre de l'ouvrage Les Choses et elle participe aussi aux rencontres destinées à créer des phrases sans la lettre « e », pour La Disparition. Bibliothécaire à la Bibliothèque nationale, Paulette Perec contribue professionnellement à la constitution de son œuvre : elle écrit des textes, une chronique de sa vie, produit l’inventaire de ses archives et réalise des activités de médiation autour du projet littéraire de Georges Perec[14].
Profondément marqué par la disparition de ses proches (notamment ses parents pendant la guerre), Georges Perec entame une psychothérapie avec Françoise Dolto en 1949. Il entreprend ensuite deux psychanalyses : en 1956 avec Michel de M'Uzan[15], puis de 1971 à 1975 avec Jean-Bertrand Pontalis.
Il vit les six dernières années de son existence avec la cinéaste Catherine Binet dont il produit le film Les Jeux de la comtesse Dolingen de Gratz.
Georges Perec meurt à 45 ans d'un cancer du poumon le à l’hôpital Charles-Foix d’Ivry-sur-Seine seulement quelques mois après avoir publié 25 choses à faire avant de mourir[16]. Ses cendres reposent désormais au columbarium (case 382) du cimetière du Père-Lachaise à Paris[17].
En 1955, il s'essaye à un premier roman qu'il intitule Les Errants, dont le manuscrit est à ce jour perdu. En 1957, il part pour un long séjour en Yougoslavie, décor d'un nouveau projet de roman, qu'il intitule L'Attentat de Sarajevo[18]. Vers 1960-1961, il rédige un troisième projet de roman, qui est refusé — le manuscrit, retrouvé, sera publié en 2012 sous le titre Le Condottière. Il poursuit son exploration du genre romanesque avec un quatrième projet intitulé J'avance masqué durant l'année 1961, dont le manuscrit est à ce jour perdu également[19].
En 1965, il remporte le Prix Renaudot pour son premier roman Les Choses, puis, en , par l'intermédiaire de son ami, le peintre Pierre Getzler, beau-frère de Jacques Roubaud, il rencontre ce dernier et est coopté pour entrer à l'Oulipo. Cette cooptation marque un point important dans son œuvre littéraire puisque désormais ses textes suivront en général des contraintes de type oulipien. Perec est, avec Raymond Queneau et Italo Calvino, l'un des membres de l'Ouvroir dont les ouvrages ont eu le plus de succès.
À partir de 1976, il publie des mots croisés à un rythme hebdomadaire dans l'hebdomadaire Le Point, soit un total de 135 grilles jusqu'en 1982[20].
En 1978, il publie La Vie mode d'emploi et reçoit pour cette œuvre le prix Médicis. Au même moment, il quitte son emploi au CNRS afin de se consacrer entièrement à l’écriture consécutivement au succès de cette œuvre.
Georges Perec se situe aux croisements de l'art engagé comme Jean-Paul Sartre le développe, et des avancées formelles du Nouveau Roman : il ne s'accorde ni avec l'un ni avec l'autre, mais il veut appuyer son œuvre sur le réalisme. À ses débuts, il se sent proche des idées du philosophe Georg Lukács, qui affirme le réalisme comme le fondement de la littérature, dans une esthétique où elle finit par être représentée en totalité. Mais, à partir de là, Perec s'éloigne très tôt de ces idées, préférant ce qu'il nommera l'« infra-ordinaire », c'est-à-dire le quotidien banal, pour travailler sa créativité[21],[22].
Mais comment Georges Perec pourrait-il parler de réalité alors que des parties entières de son enfance sont inaccessibles ? Robert Antelme, écrivain qui lui est contemporain, va lui montrer la voie[23]. Pour compenser le vide de mémoire, Perec réalise une exploration minutieuse de ses souvenirs, à partir des quelques traces qui lui restent, puis procède à des accumulations, éparpille et même cache ses quelques réminiscences dans ses romans, transforme ses œuvres en un mécanisme de révélation de mémoire. Par exemple, chaque chapitre des Choses ou de la Vie Mode d'emploi commence par une histoire qu'il a réellement vécue. Ainsi, son projet littéraire embrasse toute sa vie d'écrivain, même - ou surtout ? - dans ses fictions. Il n'y poursuit pas directement sa vie oubliée, mais il réfléchit d'abord aux mécanismes de sa mémoire[21].
Georges Perec s'est fait connaître dès la parution de son premier roman, Les choses. Une histoire des années soixante, publié par Maurice Nadeau dans sa collection des Lettres nouvelles, chez Julliard. Cet ouvrage, qui restitue l'air du temps à l'orée de la société de consommation, est couronné par le prix Renaudot[24] en 1965 et rencontre un vif succès.
Ayant signé chez Denoël pour ses cinq prochains livres, il surprend avec son œuvre suivante, Quel petit vélo à guidon chromé au fond de la cour ? La critique est déroutée : elle ne retrouve pas l'auteur qu'elle connaissait — un fin observateur de la vie quotidienne[25] — dans ce roman faussement drolatique, au ton primesautier, au comique basé sur la récurrence d'une incertitude onomastique et, qui plus est, doté d'un index savamment incomplet.
Un homme qui dort, portrait d'une solitude urbaine autant inspiré par Kafka que par le Bartleby de Melville, achève de classer son auteur parmi les inclassables, ce que confirme La Disparition, premier roman oulipien de Perec. Au-delà de la prouesse lexicographique de ce roman lipogrammatique qui ne comporte aucun « e », Perec reprend aussi sa thématique de l'absence, et la douleur qu'elle engendre.
Il inverse ensuite la contrainte lipogrammatique dans Les Revenentes, où il n’utilise que la voyelle « e » à l’exclusion de toutes les autres, même au prix de libertés orthographiques (c'est donc aussi un lipogramme, puisque les lettres a, i, o, u et y n'y sont pas utilisées ; c'est même un lipogramme d'un genre particulier, à savoir un monovocalisme en e).
Georges Perec oublie la forme romanesque en publiant la relation de cent vingt-quatre de ses rêves (La Boutique obscure, 1973) et un livre examinant son rapport à l'espace, de celui de la page blanche à l'espace du vide sidéral, en passant par l'espace urbain (Espèces d'espaces, 1974).
Ensuite il achève W ou le souvenir d'enfance, qui paraît en 1975. Très estimé, ce grand roman moderne obtient un succès critique qui place son auteur parmi les meilleurs de son temps. L'alternance binaire d'une fiction fascisante et d'une écriture autobiographique fragmentaire adosse une histoire collective fantasmée au destin singulier de l'orphelin qu'est l'auteur[26].
Alphabets est la transposition en poésie d'un principe de la musique dodécaphonique : ne pas réutiliser une consonne d'un ensemble avant d'avoir fait usage de toutes les autres consonnes du même ensemble.
La consécration atteint Georges Perec en 1978 avec la publication de La Vie mode d'emploi. Cet ouvrage, qui arbore en couverture le mot « romans » — au pluriel — obtient le prix Médicis et un grand succès public, qui permet à son auteur de se consacrer exclusivement à son art : il abandonne son travail de documentaliste[27]. Cet incroyable enchevêtrement de contraintes est probablement son livre le plus abouti. Georges Perec y explore de façon méthodique la vie des différents habitants d'un immeuble, selon une contrainte de circulation : la polygraphie du cavalier. À cette première contrainte s'ajoutent de nombreuses autres, qui sont ordonnées selon un bi-carré latin orthogonal d'ordre 10. Bien que ces contraintes soient peu évidentes à la lecture de ce livre-puzzle, elles ont été mises à la disposition du lecteur par l'édition du Cahier des charges de La Vie mode d'emploi (CNRS/Zulma, 1993).
Il voit trois derniers ouvrages publiés : en 1979, le roman Un cabinet d'amateur, histoire d'un tableau (Balland) et, en 1980, La Clôture et autres poèmes et Récits d'Ellis Island, histoires d'errance et d'espoir. Mais il n'achève pas son roman « 53 jours » — dont le titre fait référence au temps que la rédaction de La Chartreuse de Parme demanda à Stendhal — et qui sera publié après sa mort.
En avril 2022, un inédit de Georges Perec est publié, 40 ans après sa mort. Il s'agit d'un recueil de 133 textes où il parcourt Paris pendant six ans, intitulé Lieux[28].
Comme d'autres auteurs français des années 1960, Georges Perec a également, en Allemagne, une activité d'auteur radiophonique. Sa pièce Die Maschine (écrite avec Eugen Helmlé) remporte un grand succès lors de sa radiodiffusion par le Saarländischer Rundfunk. Elle sera suivie de quatre autres pièces, dont certaines seront également jouées au théâtre en France (Wucherungen, devenue L'Augmentation pour la mise en scène de Marcel Cuvelier en ).
Installé dans un car studio au carrefour Mabillon à Paris, Perec décrit pendant plus de six heures le spectacle de la rue : Tentative de description de choses vues au carrefour Mabillon le est un essai radiophonique diffusé sur France Culture le , dans une réalisation de Nicole Pascot[29].
Après la parution de La Disparition, Georges Perec publie avec Jacques Roubaud et Pierre Lusson un traité sur le jeu de go, qu'il pratique notamment au moulin d'Andé ; il est l'un des premiers joueurs de go français, bien que son niveau soit toujours resté faible[30]. Il mène de front plusieurs travaux d'écriture dont certains (L'Arbre, Lieux) n'aboutiront pas.
Il pratique l'écriture feuilletonnesque à partir du 81e numéro de la Quinzaine littéraire, le bimensuel de Maurice Nadeau, où il livre ce qui deviendra la partie fictionnelle de W ou le Souvenir d'enfance. Mais la noirceur de son invention déroute le lectorat. Éprouvant par ailleurs des difficultés d'écriture, Georges Perec interrompt cette publication périodique.
Entre 1973 et 1975, il écrit deux épisodes de la série télévisée documentaire Chroniques de France produites par Fred Tavano (dont la n° 95). Il accepte ensuite que soit porté à l'écran son roman Un Homme qui dort , sous la direction de Bernard Queysanne. Au-delà de l'interprétation de l'unique acteur du film, Jacques Spiesser, du travail sur la bande son effectué par Philippe Drogoz (qui fut diffusée à la radio) et de la photographie opérée par Bernard Zitzermann, le film est récompensé par le prix Jean-Vigo en 1974. L'année suivante, il écrit et prête sa voix pour un épisode de La Vie filmée des Français, une série documentaire télévisuelle de Jean Baronnet conçue à partir d'archives de films 9,5 mm Pathé-Baby. Il travaille sur le scénario original de Ahô... au cœur du monde primitif, un documentaire canadien réalisé par Daniel Bertolino et François Floquet, sorti le . Il retrouve Queysanne dans l'écriture du 36e épisode de la série Cinéma 16, intitulé L'Œil de l'autre, diffusé le sur FR3.
En 1978, il participe à l'écriture et aux dialogues de Série Noire (1979) d'Alain Corneau (Alain Corneau a expliqué son choix de Perec comme dialoguiste : « C’est un dialogue qui a l’apparence d’être comme dans la vie. Maintenant, si j’ai pris Perec, ce n’est pas par hasard. Le pari était de prendre l’apparence du naturalisme, mais surtout de ne pas y tomber. Il fallait faire quelque chose de totalement irréaliste. Ce que disent les personnages dans le film, c’est sans arrêt à partir d’une base de lieux communs… Toutes les expressions sont retournées, utilisées au deuxième degré. Perec est un génie dans ce sens-là », L'Avant-scène cinéma, no 233, 1er octobre 1979, p. 6), ainsi qu'au scénario du dernier film de Jean-François Adam, Retour à la bien-aimée. Le est diffusé à la télévision son unique réalisation, Les Lieux d'une fugue, court métrage élaboré avec Bernard Zitzermann, et raconté par Marcel Cuvelier.
En 1979, Perec filme ensuite à Ellis Island avec Robert Bober l'exploration de leurs racines juives communes dans Récits d'Ellis Island (1980).
Il produit enfin le film Les Jeux de la comtesse Dolingen de Gratz (1980) écrit et réalisé par sa compagne Catherine Binet.
Jouer et notamment jouer avec les mots est une des caractéristiques fortes des travaux de Perec. En plus d'ouvrages remarquables, comme La Disparition et Les Revenentes, il a créé de nombreux exercices de style :
Créée à la fin de l'année 1982 par Éric Beaumatin, l'Association Georges Perec[33] a « pour but de promouvoir la lecture, l'étude et le rayonnement de l'œuvre de Georges Perec et de développer, de conserver et exploiter un fonds documentaire qui est sa propriété et dont la vocation est publique ». Ce fonds documentaire comprend la quasi-totalité des éditions françaises et étrangères des œuvres de Perec, ainsi que des études consacrées à cet auteur. Elle accueille également les travaux universitaires, francophones ou non, se rapportant à celui-ci.
Sise à Paris, à la bibliothèque de l'Arsenal, l'Association Georges Perec accueille les chercheurs lors de sa permanence hebdomadaire. Elle organise un séminaire précédemment mensuel, maintenant annuel, où, depuis 1986, des chercheurs viennent présenter leurs travaux. Elle publie un bulletin bisannuel interne ainsi que les Cahiers Georges Perec[34].
Sont nommés en hommage à Georges Perec :
L'astéroïde (2817) Perec, découvert en 1982, porte son nom.
La Poste française a édité un timbre Georges Perec 1936-1982 dessiné par Marc Taraskoff, d’après une photo d'Anne de Brunhoff, et gravé par Pierre Albuisson, émis le .
Le , soit 80 ans après sa naissance, Google lui dédie un doodle[36].
Le 13 mars 2018, une journée entière est consacrée à Georges Perec sur Twitter. Ce #JourSansE, organisé par Réseau Canopé[37] sur une idée d'Emmanuel Vaslin, a vu la publication sur le réseau social de 10 000 contributions, respectant la double contrainte des 280 caractères et du lipogramme en "e", clin d'œil à son roman La Disparition[38],[39],[40],[41].
Chaque vendredi matin, de janvier à juin 2020, Emmanuel Vaslin invite sur Twitter tous les contributeurs intéressés à partager des fragments d’écriture respectant la contrainte des 280 signes et incluant le hashtag #infraPerec, répondant en clin d’œil à son ouvrage L'Infra-ordinaire[42] aux questions posées par un objet du quotidien, du banal, de l’ordinaire (mes chaussures, ma rue, ma boîte aux lettres, l'écran de mon téléphone...)[43],[44].
Le 3 mars 2022, pour les 40 ans de la mort de Perec, Pierre Ménard, Emmanuel Vaslin, Thomas Baumgartner et Hélène Paumier proposent en ligne sur Twitter une performance collective en donnant rendez-vous à qui le veut pour une «Tentative d'épuisement d'un lieu planétaire »[45].