Gutai (具体 ), en forme longue Gutai bijutsu kyokai (具体美術協会 ) (Association de l'art concret), est un mouvement artistique important d'avant-garde japonais fondé en 1954 et dissout en 1972 après la mort de son fondateur Jirō Yoshihara.
Le terme Gutai est un néologisme formé des caractères outil (具 ) et corps (体 ) ou gu pour l'instrument et tai pour le corps; ce qui signifie le corps comme instrument[1]. L'adjectif gutaiteki qui signifie concret s'oppose à l'abstrait, c'est-à-dire à l'art abstrait.
Jirō Yoshihara, né en 1905 à Ōsaka, est considéré comme le fondateur et le théoricien du mouvement Gutai.
Il commence à exposer à partir de 1930 et intègre l'association d'artistes japonais Nika en 1934. Il expose à Paris au Salon de mai en 1952 et 1958[2] et à New York à l'International Carnegie en 1961.
En 1952, l'Amicale des artistes contemporains ou groupe Genbi (Cendai Bijustsu Kondankai) est fondée dans la région du Kansai. Jirō Yoshihara en devient membre. Il est alors considéré comme l'un des précurseurs de l'art abstrait au Japon.
Peu avant 1954, alors qu' il regarde les calligraphies du moine zen Nantenbō, il raconte :
Cependant, il déclare :
En 1953, la première exposition du Groupe de Discussion d'Art Contemporain qui se déroule dans l'atelier de Yoshihara dans le quartier de Shibuya à Tokyo avec certains de ses étudiants dont Shōzō Shimamoto constitue les prémices du mouvement Gutai. C'est d'ailleurs Shōzō Shimamoto qui trouve l'idée pour le nom du groupe[3].
Le Manifeste de l'art Gutai est le texte fondateur rédigé par Jirō Yoshihara, dans la revue Geijutsu shincho (Nouvelles Tendances artistiques), publié à Tōkyō, en [réf. souhaitée].
Dans ce manifeste, Yoshihara précise que les principes de ce mouvement ont en réalité été initiés trois ans plus tôt[4].
Gutai est l'un des plus importants mouvements fondateurs de l'art contemporain mondial et des pratiques d'art action[5].
Ce mouvement se manifeste en 1954 non pas à Tōkyō mais dans la région du Kansai, pourtant réputée plus traditionaliste.
La réception de ce mouvement diffère au plan national comme international. Il reçoit un accueil très frileux dans le milieu de l’art japonais. Rares sont les soutiens actifs du mouvement au Japon[6].
Le critique d'art français Michel Tapié de Céleyran joue un rôle essentiel dans la promotion du mouvement Gutai en France et en Europe, mouvement qu'il découvre lors d'un voyage au Japon en 1957[7],[8],[9]en compagnie du peintre Georges Mathieu[10]. En 1958, il réclame des peintures sur toile plus facilement transportables et exposables en Europe, ce qui suscite des critiques dénonçant la perte d’originalité du mouvement. Mais, grâce à cela, le groupe devient plus connu dans le monde. Pour Michel Tapié, les œuvres du Gutaï, indéfinissables, ont besoin de photos, de vidéos, de témoins pour voir les actes des artistes, ce que permet la peinture.
Les Etats-Unis n'accordent un intérêt à ce mouvement que tardivement[6] même si certains artistes comme Allan Kaprow, fondateur du mouvement Happening aux États-Unis, reconnaissent à Gutaï un rôle fondateur[11],[12]. Un revirement majeur s'opère dans les années 1990 puis en 2013 avec la rétrospective organisée au musée Guggenheim à New York par les spécialistes Alexandra Munroe et Ming Tiampo[6].
L'influence de ce mouvement sur l'art nord-américain et européen reste sous-estimée notamment sur l'art de la performance, sur le mouvement Fluxus et peut être aussi sur l'artiste Yves Klein qui découvre le Japon en 1952 et entretient par la suite des contacts avec la scène artistique japonaise[13]. En 1953, il organise d'ailleurs plusieurs expositions des œuvres de ses parents Marie Raymond et Fred Klein à l’Institut franco-japonais de Tōkyō, au Musée d’Art Moderne de Kamakura et au Musée d'Art Bridgestone à Tokyo.
Dans les années 1960, le mouvement continue. Il se disperse en 1972, à la mort de Yoshihara. Une minorité des membres de Gutai continue alors une activité artistique.
Le mouvement Gutai revendique la liberté et la créativité après la chape de plomb du régime militaire et le traumatisme d'Hiroshima et de la défaite de 1945.
Il met en lumière l'importance du matériau et le rôle dévolu au corps de l'artiste. Les performances et la gestualité picturale sont (re)découverts par le mouvement Gutai[14]. Il accorde une place essentielle aux oeuvres in situ. C'est souvent un art éphémère[14] qui ne laisse de traces que par la photographie.
Gutai tire ses origines de l'abstraction, du surréalisme et du mouvement Dada. Pourtant, Yoshihara refuse cette idée et déclare : « Nous sommes bien différents » de Dada[15].
Gutai inspire la performance et le happening post-dadaistes et de façon plus lointaine le mouvement français Supports/Surfaces. Il a été une révolution au Japon, comme le Dadaïsme en Europe.
En général, les œuvres exécutées sur toile sont de très grand format. Sur la plupart d'entre elles, entailler, déchirer, mettre en pièces, brûler, projeter, lancer… sont ses mots d’ordre.
Cependant, ces œuvres sont généralement immédiatement détruites. Ainsi, la destruction revient très souvent, ce qui montre la violence dégagée dans ses œuvres. D’ailleurs, il ne reste que très peu de traces des originaux. Par contre, on retrouve beaucoup de traces vidéo et photographiques.
Gutaï se permet une grande liberté d’utilisation des matières brutes comme la boue, le papier kraft, les pierres ramassées sur les berges des rivières, l’eau colorée, des rideaux peints en fluorescent, des boîtes en fer blanc… renforcées par des couleurs primaires très voyantes. À l’époque, cette liberté n’a jamais été aussi grande au Japon. En effet, cette liberté totale est offerte par :
Les matériaux et la technique utilisés par les artistes sont très importants pour Gutaï. Les œuvres sont souvent présentées en direct : les artistes exécutent sur place leur œuvre devant les spectateurs. Le groupe demande également la participation du public. Ce qui montre bien la présence de l’artiste dans ses œuvres.
En ce qui concerne leur nomination, les œuvres sont presque toutes nommées Œuvre ou n’ont pas de titre. Cependant, les œuvres avec titre sont nommées platement par leur description, comme Clous et bois, Panneau fibre, Ligne, Bidons, Sculptures… Cela s’explique par le fait que Yoshihara, le chef du groupe, a interdit aux membres de donner un titre à leurs œuvres pour éviter tout recours au surréalisme : « Quant aux travaux qui combinent différents matériaux, il ne faut cependant pas les confondre avec les objets surréalistes car les premiers évitent de mettre l'accent sur le titre et le sens de l'œuvre. » Lors de l'exposition des Indépendants de Yomiuri à Tōkyō en , toutes les œuvres du Gutaï sont signées Gutaï.
À partir de 1958 : Expositions conventionnelles dans le Kansai, à Paris, à New York et à Turin
Au départ, Jirō Yoshihara, peintre fortuné et reconnu, réunit une vingtaine de jeunes artistes issus du groupe Genbi:
En 1955, certains artistes ayant participé au groupe Zéro rejoignent l'association d'art Gutai[12]:
Jirō Yoshihara utilise des calligraphies réduites à un seul trait. Il crée des ensembles de sculptures en métal induit de ciment et monte des installations. Comme Kazuo Shiraga, Sadamasa Motonaga et Akira Kanayama, il utilise le geste, rappel de la spontanéité de l'écriture.
Toutes ces pratiques montrent la diversité et l'originalité des modes de création. Gutaï a pour ambition d'éliminer l'imitation et la copie. En effet, comme le dit lui-même Yoshihara :
Autres artistes: Norio Imai (ja), Seiko Kanno (en), Shōji Kikunami, Toshiko Kinoshita, Shūji Mukai (ja) remplit un espace d’alphabets imaginaires, Tsuyoshi Maekawa, Kimiko Ohara, Itoko Ono, Minoru Onoda, Seiichi Sato s’enferme lui-même dans un sac suspendu à un arbre en tant que sculpture vivante., Takeshi Shibata, Fujiko Shiraga se sert de papiers froissés pour ses créations., Yasuo Sumi peint à l’aide d’un vibrateur électrique., Soichi Tominaga, Yōzō Ukita, Minoru Yoshida