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Centre culturel du Grand Nord |
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Patrimonialité |
Recensé à l'inventaire général |
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Commune |
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L'habitation Gradis, ou habitation Prunes, est une ancienne plantation coloniale sucrière située sur la commune de Basse-Pointe en Martinique[1]. Jusqu'à l'abolition définitive de l'esclavage en 1848, la production était principalement assurée par des esclaves[2].
L'ancienne maison de maître abrite aujourd'hui le Centre culturel du Grand Nord, lieu d’apprentissage de l’art et du théâtre, en passant par la danse et la musique.
La plantation et ses esclaves[3],[4] appartenaient à Mathieu de Prunes du Rivier, ancien conseiller au Parlement de Bordeaux. Ce dernier devait la somme de 184 000 livres (soit 2 074 885 euros en 2020[5]) aux banquiers et négociants de la Maison Gradis. En 1776, il vend sa propriété à cette firme, alors dirigée par les frères David et Moïse Gradis, pour la somme de 611 000 livres[6] (soit environ 6 800 000 euros en 2020[5]). Le patriarche de la famille, Abraham Gradis, estimant l'investissement insuffisamment rentable, voire risqué, s'était jusque ici toujours refusé à posséder des plantations aux colonies[7]. Il finira toutefois par changer d'avis sous la pression de son neveu David « fils de Benjamin, esprit pratique et ferme, qui ne cessait d'inciter ses oncles à rentrer dans les innombrables créances de la maison »[8].
Bien que la loi (Code noir) interdise aux Juifs de posséder des terres et des esclaves dans les colonies[9], leur utilité les rendait tolérables ; ainsi, il existait de rares dérogations ne leur permettant pas pour autant de jouir des mêmes droits que les autres colons[6], « pourvu toutefois qu'ils s'abstiennent de tout exercice public de la religion qu'ils professent »[10]. La société David Gradis et fils a pu obtenir l'autorisation de jouir librement de cette propriété, et de celles qu'elle possédait à Saint-Domingue, en arguant des lettres patentes concédées aux juifs portugais de Bordeaux par Henri II[10] et de l'autorisation du ministre Maurepas, qui tenait Abraham Gradis en affection, en reconnaissance des multiples services rendus à la couronne[6].
En 1790, les frères David et Moïse Gradis font le partage de leurs biens et l'habitation appartient alors uniquement à Moïse, mais conserve le nom commercial de David Gradis et fils. L'année suivante, la révolte des esclaves à Saint-Domingue menace les intérêts de la firme, amenant Moïse à venir s'installer en 1794 à Philadelphie afin de sauver les habitations. Puis, il est obligé de venir s'installer personnellement sur l'île de 1800 à 1803 afin d'éviter le séquestre de sa propriété par les occupants britanniques, qui contrôlent la Martinique de 1794 à 1802. Cette occupation, accueillie positivement par les colons de l'île, explique pourquoi la première abolition de l'esclavage, décrétée par la Convention nationale en 1794, n'a pu s'appliquer aux captifs de la plantation, d'autant que Napoléon rétablit l'esclavage aux Antilles en 1802, deux mois après la fin de l'occupation britannique de la Martinique.
Dès l'arrivée de Moïse Gradis dans l'habitation en 1800, il s'investit pleinement en achetant des esclaves. L'ancien armateur négrier, devenu colon planteur, se plaint à son frère David, resté à Bordeaux, de la cherté des captifs africains : « J'ai acheté dernièrement d'une cargaison de Nègres qui se sont vendu (sic) bien cher [...]. Il me les falloient pour remplacer ceux qui me sont morts » (courrier du 4 décembre 1801)[3]. Parallèlement, Moïse expédie le sucre produit par son habitation directement vers Londres, jusqu'à ce que la paix d'Amiens, mettant provisoirement fin à l'occupation anglaise, lui permette d'envoyer la production à son frère à Bordeaux[3].
En 1811, Benjamin Gradis, dit Le Jeune, prend les rênes de la société familiale.
En 1840-41, lors de son passage dans les îles, Victor Schoelcher constate la mise en place, dans la plantation Gradis, d'une politique incitative en faveur des mariages entre esclaves. Les propriétaires prennent à leur charge les frais de la noces, et versent une dot de 120 francs. De plus, la punition par le fouet est infligée de manière plus décente une fois la femme esclave mariée. Auparavant elles étaient couchées nues par terre pour recevoir les coups, désormais elles les reçoivent debout, sur les jupes. Le but de ces unions est de favoriser la reproduction des captifs, qui est désormais le principal moyen de maintenir leur nombre depuis l'interdiction, au moins officielle, de la traite en 1815[11]. Dans l'habitation Gradis cette politique porte ses fruits, et Schoelcher dénombre 22 ménages mariés. Il constate aussi que les Gradis possèdent dans leur plantation 85 enfants en dessous de 14 ans, pour un total de 220 esclaves[12].
En 1848, après l'abolition de l'esclavage, la première pour la Martinique, la Deuxième République indemnise les propriétaires esclavagistes. Benjamin Gradis reçoit alors 76 304 Francs or, en dédommagement de l'affranchissement de ses esclaves[13]. Cette somme vient se rajouter aux 71 380 Francs or qu'il avait touché en 1825 de la part de la République d'Haïti pour compenser la perte de ses plantations causée par les révoltes d'esclaves[14].
Face au refus des nouveaux libres de travailler sur les habitations pour des salaires de misère, les propriétaires d’habitations sont confrontés à un manque de main-d’œuvre. En collaboration avec l’administration de la colonie, ils font alors venir de nombreux immigrants indiens pour s'installer et travailler dans les champs de cannes.
En 1858, Henri Gradis, fils de Benjamin, prend la direction de la Maison Gradis. Près de la plantation, il fonde en 1889 l'usine centrale de Basse-Pointe (dite usine Gradis), qui traitait les cannes à sucre des habitations voisines (Hackaërt, Eyma, Moulin l'Etang, ...)[15] et devient le poumon économique de Basse-Pointe. L'usine est gérée par la Société anonyme des sucreries de l'usine de Basse-Pointe, ayant son siège à Saint-Pierre, et constituée entre la famille Gradis (actionnaire majoritaire), les propriétaires des habitations voisines, le consul britannique William Lawless et la famille Ariès[16].
L'usine fonctionnait grâce à la bagasse et l'eau conduite par un canal. La canne à sucre était transportée par l'une des toutes premières locomotives à vapeur de la Martinique et le pont de Gradis, reliant l'habitation Gradis à l'habitation Eyma (où est né le poète Aimé Césaire, qui grandira avec l'habitation Gradis)[17].
En 1921, l'administration de l'usine est confiée au béké Victor Depaz qui devient également propriétaire de l'usine.
Le 6 septembre 1948, Guy de Fabrique Saint-Tours, administrateur blanc créole (béké) des habitations sucrières Pécoul, Gradis, Leyritz et Moulin L'Etang, propriétés du riche industriel Victor Depaz, est assassiné dans un champ de cannes de l'habitation Leyritz gérée par son frère Gaston[18]. Ce meurtre est à l'origine de l'affaire dite des 16 de Basse-Pointe.
L'habitation Gradis ferme en 1964.
Le domaine est principalement plantée en bananes aujourd'hui. Un petit temple hindou se trouve à l'ouest de la maison de maître de l'habitation[19].
Désormais, le Centre culturel du Grand Nord est installé dans l'ancienne maison des maîtres[20]. Il porte le nom de Centre culturel Antoine Tangamen (1902-1992), en hommage à l'un des derniers prêtres hindous qui pratiquaient la langue tamoule. Antoine Tangamen a été commandeur sur l'habitation Gradis, et y a résidé toute sa vie[21].
Certaines parties du site figurent depuis 2003 à l'Inventaire général du patrimoine culturel, comme la maison des maîtres, l'ancienne usine, deux cases et un temple hindou[1].