Naissance | |
---|---|
Décès | |
Sépulture | |
Nationalité | |
Activités |
A travaillé pour | |
---|---|
Distinctions | |
Archives conservées par |
Henri Meschonnic, né le à Paris et mort le à Villejuif[1], est un théoricien du langage, essayiste, traducteur et poète français.
Henri Meschonnic est régulièrement intervenu dans le Forum des langues du monde. Il fut président du Centre national des lettres, devenu en 1993 Centre national du livre[2].
Il a notamment été lauréat des prix Max-Jacob en 1972 et Mallarmé en 1986. Il a reçu à Strasbourg en 2005 le prix Jean-Arp de littérature francophone pour l'ensemble de son œuvre[3] et a été le lauréat du grand prix international de poésie Guillevic-ville de Saint-Malo en 2007[4]. Il fut membre de l'Académie Mallarmé à partir de 1987.
Il a déposé ses archives à l’Institut mémoires de l'édition contemporaine (IMEC) en 2007.
Il est inhumé au cimetière du Père-Lachaise (division 74).
Henri Meschonnic est né de parents juifs russes venus de Bessarabie en 1926. Il est enfant caché au cours de la Seconde Guerre mondiale. Jeune bachelier, il poursuit ensuite ses études supérieures de lettres à la Sorbonne. En tant qu'étudiant, il est sursitaire et effectue lors de son service militaire un séjour de huit mois à Alger, au cours de la guerre d’Algérie en 1960. Ses premiers poèmes en témoignent.
Agrégé de lettres (1959)[5], Henri Meschonnic enseigne d’abord à l’université de Lille de 1963 à 1968, puis il rejoint, en 1969, le Centre universitaire expérimental de Vincennes, pour participer à sa création, aux côtés de François Châtelet, Gilles Deleuze, Jean-François Lyotard, Michel Foucault, Alain Badiou, etc. ; il a enseigné durant de longues années la linguistique et la littérature à l’université Paris-VIII (jusqu’en 1997) ; il a été vice-président du conseil scientifique de 1989 à 1993 et directeur de l’École doctorale « Disciplines du sens » qu’il avait fondée en 1990[6].
L’étude de l’hébreu appris pendant la guerre d'Algérie en autodidacte le mène à entreprendre des traductions bibliques, point de départ d’une réflexion à la fois sur le rythme et sur la théorie générale du langage et du problème poétique, ce que montrent les deux premiers livres publiés ensemble, Les Cinq Rouleaux et Pour la poétique, en 1970.
Henri Meschonnic a proposé une anthropologie historique du langage qui engagerait la pensée du rythme « dans et par » l'historicité, l'oralité et la modernité du poème comme discours. La notion de sujet est vue comme l'activité spécifique d'un discours. Une série d'essais, depuis Pour la poétique jusqu'à Politique du rythme, Politique du sujet en passant par Critique du rythme, Anthropologie historique du langage touchent à différentes disciplines, à partir de la littérature et de la théorie du langage. Le poème est assimilé à un opérateur éthique de valeur commun à tous les discours. La notion de rythme occupe une place centrale dans sa réflexion. Dans une œuvre qui combine écriture poétique, traduction et essai, Meschonnic s'est affirmé en opposition à ce qu'il estimait être des académismes et notamment contre le structuralisme, s'appuyant notamment sur les propositions de Wilhelm von Humboldt[7], de Ferdinand de Saussure[8] et d'Émile Benveniste[9].
Comme théoricien de la traduction, Meschonnic a mis en avant l'historicité de la traduction. Il a synthétisé ses vues dès 1973 dans Pour la poétique II, Épistémologie de l’écriture, Poétique de la traduction et surtout, en 1999, dans Poétique du traduire mais la traduction est une préoccupation permanente dans la recherche de Henri Meschonnic, qui présente la traduction comme un acte critique.
Le texte à traduire doit être abordé comme un discours, comme une énonciation, et non comme un objet, un écrit. Le texte est un acte, indissociable de son auteur. Traduire, c'est se connecter à une parole vivante et non pas à langage figé dans des signes. Cette approche permet de dépasser le dualisme entre la forme et le sens, Meschonnic parlant d'une « forme sens ». Le texte à traduire doit être abordé comme une dynamique, dans laquelle le rythme est le principal porteur de sens, plus que dans le mot. Yves Bonnefoy, s'inspirant de ces thèses, parlera d'événement, de dire, pour qualifier le texte à traduire. Ce dire vient d'abord du poète, puis, de façon continue, du poème, et donc il faut que le traducteur remonte au poète s'il veut traduire le poème[10].
Meschonnic, à la suite de Roman Jakobson, a proposé une poétique qu'il requalifiera ultérieurement d'« anthropologie historique du langage ». La notion centrale de cette nouvelle poétique est la notion de rythme pour laquelle il a proposé plusieurs définitions. Alors que, traditionnellement, le rythme était défini par le retour régulier des mêmes éléments, Henri Meschonnic a étendu cette notion, en s'appuyant notamment sur le travail de Iouri Tynianov, à l'ensemble des facteurs constructifs du vers : son accentuation, son organisation phonologique (Meschonnic parle de « prosodie »), mais aussi sa syntaxe et sa structure lexicale.
Le rythme a, chez Henri Meschonnic, une acception plus large encore puisqu'il en vient à désigner l'organisation générale d'un discours et l'activité du sujet producteur de ce discours : selon Meschonnic le rythme serait « l'organisation du mouvement de la parole par un sujet[11] ». Meschonnic reprend alors les recherches philologiques de Émile Benveniste[12] qui, à partir de Héraclite, déplatonise le rythme[13].
Comme chez Roman Jakobson, la poétique ne désigne plus pour Meschonnic une discipline analytique spécifique à la littérature : elle analyse l'ensemble des phénomènes à l'œuvre dans le discours, en général, et qui seraient à l'œuvre de façon optimale dans le poème. Le poème serait alors le « révélateur » de l'activité du sujet, de son appropriation du langage. Ce parti pris l'amène à développer, à partir de Critique du rythme (1982), la notion de « sémantique sérielle », généralisation du principe de la rime à l'ensemble des phonèmes d'un texte (ou discours).
À travers une série d'essais, depuis Pour la poétique jusqu'à Politique du rythme, Poétique du rythme, en passant par Critique du rythme, Anthropologie historique du langage, Henri Meschonnic a engagé un certain nombre de chantiers relevant de différentes disciplines : critique littéraire, lexicographie, linguistique, traductologie, philosophie et historiographie.
S'il s'est toujours défendu d'être « polémique[14] », la carrière de Henri Meschonnic n'en est pas moins marquée par une série de conflits ouverts avec quelques représentants du monde poétique, philosophique ou littéraire. En 1975, dans Le signe et le poème, il fait une critique radicale de la phénoménologie de Husserl à Jacques Derrida et de sa prétention à accomplir la poésie (p. 471). La formule peut aller jusqu'à un certain rire qui prophétise une réception planétaire[pas clair] : « C'est en surfaisant que Derrida défait » et « Plus il déçoit, plus il triomphe » (p. 473) .
La brouille avec son collègue de l'université de Vincennes et ami des Cahiers du chemin, le poète épris de philosophie Michel Deguy, entre dans le prolongement de sa critique de la phénoménologie ; toutefois il faut rappeler que c'est Meschonnic qui a introduit les Poèmes 1960-1970 (Poésie/Gallimard, 1973) de Michel Deguy, et proposé le texte liminaire de la revue Po&sie animée depuis lors par Michel Deguy.
En 2001, Célébration de la poésie dresse un panorama offensif de la poésie contemporaine en France. Si Yves Bonnefoy n'en a rien dit, Michel Deguy a qualifié Meschonnic de « serial killer » et Jean-Michel Maulpoix de « sycophante ». L'ouvrage est une charge contre la quasi-totalité des poètes contemporains de l'auteur. Yves Bonnefoy et Jacques Roubaud y sont désignés comme « deux mammouths naturalisés au Muséum d’Histoire Naturelle de la poésie contemporaine », André du Bouchet a des « tics », Michel Deguy est un faiseur de « tours de bonneteau », Jacques Dupin meurt d’« amour de la poésie », Claude Royet-Journoud est un « adorateur » du blanc, Philippe Becq [sic] un « pince sans rire qui ne pince pas grand chose », chez Olivier Cadiot « le toc joue à feindre le toqué » dans une « oulipiteuse décalcomanie de dérivés qui font du surplace »… Meschonnic, comme l'a écrit Jean-Michel Maulpoix, a pris « soin de choisir le mot qui fait mal. »[réf. incomplète]
Meschonnic n'a vu, dans la réplique de Jean-Michel Maulpoix, que « vilenie » et « diffamation » et s'est expliqué sur ses motivations dans une réponse adressée à Jean-Michel Maulpoix : « Alors que depuis trente ans je construis une autre pensée du langage, et une 'poétique du rythme' […] tout cela est effacé. Le 'langage précis de la pensée', qui est dans la continuité de mon travail, a disparu. Les raisons des 'pourquoi' ont disparu, et 'réfléchir, argumenter', ce que je ne cesse de faire, a disparu. Mais il est dit qu'il n'y a 'pas un mot' sur l'écriture de la poétisation que je critique, alors que justement il y a de nombreux exemples, étudiés dans leurs clichés. » (La Quinzaine littéraire no 824)
Mais c'est le philosophe Martin Heidegger que Henri Meschonnic dénonce avec le plus de force, cherchant à démontrer les continuités qui relient l'œuvre philosophique et les rapports de Heidegger avec le Parti national-socialiste. Il consacre deux ouvrages au philosophe allemand : Le Langage Heidegger en 1990 et Heidegger ou le national-essentialisme en 2007.
Il conteste par ailleurs des spécialistes comme Jean Quillien, qui a consacré ses travaux à Wilhelm von Humboldt, en discutant de près ses traductions (voir "La Philosophie contre la pensée Humboldt" dans Langage, histoire, une même théorie, p. 641 et suivantes). Il ne faut pas oublier que c'est Meschonnic, plus que Quillien, qui a assuré un renouveau d'intérêt pour le travail de Humboldt en France, et lui qui avait soutenu la publication des livres en français du plus grand spécialiste de Humboldt à Berlin, Jürgen Trabant, qui, pour sa part, voit dans le travail de Meschonnic un véritable prolongement de l'ethnolinguistique au sens humboldtien.
Mais pour comprendre ses positions, il est cependant toujours préférable de lire en premier lieu les réponses et explications que Henri Meschonnic donne dans ses entretiens, comme celui qu'il donne au sujet de Célébration de la poésie qui replace le point de vue à partir de son questionnement central, à savoir le fonctionnement de la langue[15].
Mais c'est surtout à partir de son expérience de traducteur de la Bible et de poète que Meschonnic engage une « anthropologie historique du langage » comme « critique du rythme ». C'est parce que l'hébreu biblique ne connaît pas l'opposition vers/prose (voir l'introduction de Gloires, traduction des Psaumes), que le traducteur se confronte à la recherche d'un système répondant au système accentuel de la transcription réalisée par les Massorètes, et qu'il théorise le rythme comme "sujet du poème", c'est-à-dire "organisation prosodique-rythmique du texte" (voir "Le goût du rythme comme récitatif" dans Gloires, p. 30-37).
L'œuvre poétique de Henri Meschonnic commence par des « poèmes d'Algérie » publiés dans la revue Europe en , mais c'est surtout avec Dédicaces proverbes (prix Max-Jacob, 1972) qui comporte quatre pages liminaires que commence l'aventure d'un « langage qui n'a plus rien à faire de la distinction utile ailleurs entre dire et agir, qui n'a plus rien à faire de l'opposition entre l'individuel et le social, entre la parole et la langue ». Aussi tous les livres qui suivent sont-ils tous à considérer comme autant de poèmes en cours participant à une seule et même aventure, « ni confession, ni convention », hors de tout « psittacisme formaliste ».