Isabelle Stengers, née en 1949 à Bruxelles, est une philosophe des sciencesbelge, spécialiste de la pensée du philosophe, logicien et mathématicien britannique Alfred North Whitehead. Inspirée par la pensée de Félix Guattari et de Donna Haraway, elle développe une conception constructiviste du savoir scientifique et une écologie des pratiques attentives aux phénomènes d'interdépendance dans le monde vivant.
2010 : prix scientifique Ernest-John Solvay en sciences humaines et sociales[2]
Axes de recherches
Isabelle Stengers se fait connaître dès son premier ouvrage, La Nouvelle Alliance (1979), coécrit avec le prix Nobel de chimie Ilya Prigogine, consacré notamment à la question du temps et de l’irréversibilité.
Elle s'intéresse ensuite, en faisant appel entre autres aux théories de Michel Foucault et de Gilles Deleuze, à la critique de la prétention autoritaire de la science moderne[3]. Stengers souligne ainsi l'omniprésence de l'argument d'autorité dans la science, ainsi lorsqu'on fait appel aux « experts » pour trancher le débat, comme s'il n'y avait pas de réel différend politique à la source du débat lui-même. Il est important de noter qu'elle ne fait aucunement partie de la mouvance déconstructionniste, pour qui la science ne serait qu'un ensemble de conventions verbales. Elle développe une approche critique du positivisme et affirme l'importance du récit dans la constitution et la présentation du savoir scientifique, car celui-ci autorise son intelligibilité[4],[5]. L'intérêt qu'elle porte à la science-fiction s'inscrit dans cette volonté d'échapper au scientisme et au moralisme par la stimulation de l’imaginaire et une réflexion sur les possibles[6].
Elle se consacre depuis une quinzaine d’années à une réflexion autour de l’idée d’une écologie des pratiques, d’inspiration constructiviste. En témoignent les sept volumes des Cosmopolitiques, publiés aux Empêcheurs de penser en rond/La Découverte, mais aussi ses livres consacrés à la psychanalyse (La Volonté de faire science, 1992), à l’hypnose (L’Hypnose entre science et magie, 2002), à l’économie et à la politique (La Sorcellerie capitaliste, avec Philippe Pignarre, 2005), ou encore à la philosophie (Penser avec Whitehead, 2006). Cette conception de l'écologie met l'accent sur les liens et les interdépendances qui existent dans le monde vivant, sans nier leur part de conflictualité[7], ainsi que sur la nécessité de penser les interconnexions entre les pratiques, notamment entre science et politique[8].
Prise de position
En , elle cosigne avec une vingtaine d'intellectuels une tribune de soutien à Houria Bouteldja dans le journal Le Monde, dans laquelle il est notamment affirmé que « ce qui est visé à travers la violence des attaques qui la ciblent, c’est l’antiracisme politique dans son ensemble[9] ». Ce texte est décrit par Jack Dion de Marianne comme « ahurissant d’allégeance à une dame qui a exposé son racisme au vu et au su de tous »[10].
L’Invention des sciences modernes, Paris, La Découverte, 1993 (réédition Flammarion, « Champs » no 308)
Souviens-toi que je suis Médée, Paris, Les Empêcheurs de penser en rond, 1993
Sciences et pouvoirs. Faut-il en avoir peur ? Bruxelles, Labor, 1997 (réédition La Découverte sous le titre Sciences et pouvoirs : La démocratie face à la technoscience)
Cosmopolitiques, en 7 volumes : La guerre des sciences ; L’invention de la mécanique ; Thermodynamique : la réalité physique en crise ; Mécanique quantique : la fin du rêve ; Au nom de la flèche de temps : le défi de Prigogine ; La vie et l’artifice : visages de l’émergence ; Pour en finir avec la tolérance, Paris, La Découverte/Les Empêcheurs de penser en rond, 1997 (réédition Paris, La Découverte, 2003)
La guerre des sciences aura-t-elle lieu ? , Paris, Les Empêcheurs de penser en rond, 2001
L'Hypnose entre magie et science, Paris, Les Empêcheurs de penser en rond, 2002
Penser avec Whitehead. Une libre et sauvage création de concepts, Paris, Le Seuil, « L’ordre philosophique », 2002
La Vierge et le neutrino. Quel avenir pour les sciences ?, Paris, Les Empêcheurs de penser en rond, 2006
Au temps des catastrophes. Résister à la barbarie qui vient, Paris, La Découverte, 2008
Une autre science est possible ! Manifeste pour un ralentissement des sciences, Paris, Les Empêcheurs de penser en rond/La Découverte, 2013
Civiliser la modernité ? Whitehead et les ruminations du sens commun, Dijon, Les presses du réel, 2017
Réactiver le sens commun. Lecture de Whitehead en temps de débâcle, Paris, La Découverte/Les Empêcheurs de tourner en rond, 2020[11]
Cosmopolitiques, Paris, Les Empêcheurs de tourner en rond, 2022
Ouvrages en collaboration
avec Ilya Prigogine, La Nouvelle Alliance. Métamorphose de la science, Paris, Gallimard, 1979 (réédition « Folio-Essais » no 26)
avec Ilya Prigogine, Entre le temps et l’éternité, Paris, Fayard, 1988 (réédition Flammarion, « Champs » no 262)
avec Judith Schlanger, Les concepts scientifiques : invention et pouvoir, Paris, La Découverte, 1989
avec Léon Chertok, Le Cœur et la Raison. L’hypnose en question de Lavoisier à Lacan, Paris, Payot, 1989
avec Léon Chertok, L’Hypnose, blessure narcissique, Paris, Les Empêcheurs de penser en rond, 1990
avec Léon Chertok et Didier Gille, Mémoires d’un hérétique, Paris, La Découverte, 1990
avec Olivier Ralet, Drogues. Le défi hollandais, Paris, Les Empêcheurs de penser en rond, 1991
Starhawk, Femmes, magie et politique, Paris, Les Empêcheurs de penser en rond, 2003
Anne Querrien, L'école mutuelle, une pédagogie trop efficace ?, Paris, Les Empêcheurs de penser en rond, 2005
Didier Debaise, Un empirisme spéculatif. Lecture de Procès et réalité de Whitehead, Paris, Vrin, 2006
Étienne Souriau, Les Différents Modes d'existence, Paris, PUF, 2009 (Le sphinx de l'œuvre, texte rédigé en collaboration avec Bruno Latour)
Josep Rafanell i Orra, En finir avec le capitalisme thérapeutique. Soin, politique et communauté, Paris, Les Empêcheurs de penser en rond, 2011
David Abram, Comment la Terre s'est tue, Paris, La Découverte, 2013
Martin Savransky, The Adventure of Relevance. Basingstoke: Palgrave Macmillan, 2016
Anna Tsing, Proliférations, Marseille, Wildproject, 2022
Entretiens
Isabelle Stengers et Marin Schaffner (postface Émilie Hache), Résister au désastre : dialogue avec Marin Schaffner, Wildproject, coll. « Petite bibliothèque d'écologie populaire », , 87 p. (ISBN978-2-918-490-920)présentation éditeur.
Isabelle Stengers et Nicole Mathieu, « Discipline et interdiscipline : la philosophe de "l'écologie des pratiques" interrogée », Natures, Sciences, Sociétés, vol. 8, no 3, , p. 51-58 (ISSN1240-1307, e-ISSN1765-2979, lire en ligne, consulté le ).