Mignon est le nom ou la qualité donné, en France, à partir du XVe siècle, à un serviteur de confiance du prince.
Par la suite, aux XVIe et XVIIe siècles, l'appellation de mignon s'étend au favori d'un seigneur ou d'un souverain.
Durant le règne de Henri III à la fin du XVIe siècle, le terme prend une connotation péjorative dans le cadre des guerres de Religion. Tour à tour, les polémistes huguenots et ligueurs dénoncent les favoris et les proches serviteurs du souverain en leur prêtant des mœurs frivoles et « efféminées », voire des pratiques homosexuelles.
Les mignons ne doivent pas être confondus avec les menins, jeunes gentilshommes donnés comme compagnons au Dauphin pendant sa minorité.
L'usage est attesté dans ce sens-là, et non dans son attribut péjoratif qu'il avait dès le Moyen Âge[5], à partir de 1446, à propos des favoris du roi Charles VII : après la révolte nobiliaire dite de la Praguerie, le monarque écarte les vieux nobles hostiles de la Cour et donne des charges à de jeunes nouveaux conseillers[6]. Sans occuper nécessairement encore la position de « favoris », plusieurs personnages désignés comme « mignons » durant le XVe siècle partagent l'intimité domestique de souverains français aux tempéraments aussi divers que Charles VII, Louis XI et Charles VIII[7].
Être le mignon est un honneur, un signe de l’amitié profonde que porte le souverain à un personnage de confiance[8]. Il le distingue des autres en lui octroyant le privilège de s’habiller comme lui. À une époque où les querelles de préséance sont légion et où le code vestimentaire obéit à des règles strictes pour désigner le rang social et les privilèges qui l’accompagnent, on est à même de mesurer toute la portée de cet honneur. Le mignon a également le privilège de dormir dans la même chambre et souvent dans le même lit que le souverain. Ce dernier honneur n’a habituellement rien à voir avec les rapports antiques de l'amitié grecque (homosexuelle). « La franchise avec laquelle on en parle, dans un temps qui stigmatisait le crimen nefandum (crime indicible, euphémisme pour "sodomie"), doit éteindre tout soupçon »[8]. Les contemporains en font l’analogue de l’amour courtois.
Cette institution se maintiendra jusqu'au XVIIe siècle. Elle est reconnue pour les princesses qui peuvent également avoir une mignonne à laquelle s’attachent les mêmes privilèges.
Quand un favori est bien en vue, il a l’insigne honneur de dormir dans la chambre royale. C’est une façon pour le roi de récompenser ses serviteurs les plus fidèles. À la Renaissance, la chambre royale est considérée comme sacrée et pouvoir y dormir en présence même du souverain — considéré comme le lieutenant de Dieu sur terre — est l’ultime consécration d’un courtisan. Homme de lettres et lui-même courtisan, le gentilhomme Pierre de Bourdeille, dit Brantôme, dénomme « mignons de couchette » les favoris ainsi honorés par le roi Charles VIII à la fin du XVe siècle[9].
Au siècle suivant, le roi Henri II devient un grand adepte de cette démonstration de faveur[9]. Il en use beaucoup avec Anne de Montmorency qui, par de nombreuses fois, a le suprême privilège de dormir avec lui dans son lit[10]. Ce genre de comportement choque les ambassadeurs étrangers[10], mais ceux-ci se font finalement à cette idée car la cour de France est réputée pour sa très grande familiarité.
Sous l’impulsion rigoriste d'Henri III, les mœurs de la cour de France évoluent. On n’entre plus dans la chambre royale comme auparavant. La chambre royale devient encore plus sacrée et les personnes qui peuvent y pénétrer font l’objet des plus vives jalousies, d’où le durcissement des quolibets à l’égard des « mignons de couchette. » L'expression se teinte désormais de mépris, à en croire Brantôme[11].
Sous le règne d'Henri III, les gentilshommes qui fréquentent la cour de France s’habillent avec un raffinement qui choque les bourgeois. Sur le modèle du roi, les courtisans se fardent, se poudrent et se frisent les cheveux. Ils portent des boucles d’oreille, de la dentelle et de grandes fraises empesées.
Ces courtisans font l’objet de railleries. C’est qu’à l’époque, on tolère encore mal, dans une cour qui a toujours promu la virilité brute et considéré le raffinement comme une faiblesse, le penchant d'Henri III et de son entourage pour la culture de la fête et le goût pour l’apparence (ce qui ne les empêche nullement d'être de rudes chefs de guerre et de se couvrir de gloire sur les champs de bataille).
Dans ses Discours sur les colonels de l'infanterie de France, Brantôme rapporte ainsi que des gens de guerre affichent leur morgue envers certains courtisans, qu'ils qualifient de « petitz mignons molz, efféminez » : « Ah ! disoient-ilz, ce sont des mignons de court, des mignons de couchette, des pimpans, des douilletz, des frizez, des fardez, des beaux visages. Que sçauroient-ils faire ? ce n'est pas leur mestier que d'aller à la guerre : ilz sont trop délicatz, ilz craignent trop les coups. »[11],[13]
Or Brantôme désavoue vertement ces propos, qu'il assimile à des médisances. Lui-même ancien soldat, le gentilhomme chroniqueur soutient que plusieurs mignons, « honnestes et vaillans jeunes hommes » comme Bussy, Maugiron, Caylus ou Entraguet ont démontré leur valeur « à ces vieux capitaines qui causoient tant. » Brantôme ajoute que les courtisans précités, protagonistes de « tant de beaux combatz et duelz qui se sont faictz despuis vingt ans en nos courtz », ont été « les premiers aux assautz, aux battailles et aux escarmouches. »[11],[13]
Les favoris d'Henri III n'en sont pas moins au centre des moqueries. Le roi promeut à la cour des hommes de petite noblesse, à qui il confie d’importantes responsabilités. Il entend s’appuyer sur des hommes neufs pour gouverner. Sa cour voit donc apparaître un cercle restreint de favoris qui connaissent, grâce à leur protecteur, une fortune fulgurante. Ce système vole en éclats lors du duel des Mignons en avril 1578.
Les premiers à associer le mot « mignon » à l’homosexualité sont les calvinistes. Hostiles à toute frivolité, les prédicateursprotestants condamnent fermement les phénomènes de mode et interdisent la pratique de la danse, usuelle chez les catholiques. Devant l’engouement pour les futilités de la cour des Valois, ils s’emploient à dénoncer l’attitude, qu'ils jugent efféminée, des courtisans.
L’image des mignons véhiculée par les protestants est vite reprise par la Ligue catholique qui mène, à partir de 1585, une vaste campagne de désinformation contre Henri III et sa cour. La propagande ligueuse se poursuit après l’assassinat du roi en 1589 et lui survit dans l'historiographie aux XVIIe et XXe siècles.
Parmi les plus célèbres favoris d'Henri III figurent les noms de :
↑ ab et cEn 1919, l'historien Johan Huizinga associe le terme à celui de favori (Johan Huizinga, Le Déclin du Moyen Âge, Paris, Payot, 1961, p. 65-66).
↑ a et bFrançois Reynaert, Nos ancêtres les Gaulois, et autres fadaises, p. 251.
↑ ab et cPierre de Bourdeille, Œuvres complètes de Pierre de Bourdeille seigneur de Brantôme, t. 6 : Couronnels françois - Discours sur les duels, publ. d'après les ms... par Ludovic Lalanne , Paris, Mme Veuve J. Renouard, p. 29-30, lire en ligne.
↑Dans son ouvrage Messieurs de Joyeuse, Pierre de Vaissière assure ne trouver aucune lettre dans les correspondances privées de Henri III, de ses mignons ou des ambassadeurs étrangers, faisant allusion à une quelconque homosexualité.
Pierre de Bourdeille (dit Brantôme), Œuvres complètes de Pierre de Bourdeille seigneur de Brantôme : publiés d'après les manuscrits avec variantes et fragments inédits pour la Société de l'histoire de France par Ludovic Lalanne, t. 6 : Couronnels françois / Discours sur les duels, Paris, Mme veuve Jules Renouard, , 528 p. (lire en ligne).
Jacques Bailbé, « Le courtisan au temps d'Henri III et d'Henri IV », Bulletin de l'Association Guillaume Budé, no 3, , p. 305-320 (lire en ligne).
Jacqueline Boucher, Société et mentalités autour de Henri III, Lille, Atelier Reproduction des thèses, Université de Lille III, 1981, 4 vol., [présentation en ligne].
Réédition en un volume : Jacqueline Boucher, Société et mentalités autour de Henri III, Paris, Honoré Champion, coll. « Bibliothèque littéraire de la Renaissance / 3 » (no 67), , 2e éd., 1273 p. (ISBN978-2-7453-1440-6, présentation en ligne).
Jacqueline Boucher, « Un monde ouvert et influent : la Cour des derniers Valois », Cahiers Saint Simon, no 24 « Frontières de la Cour », , p. 51-56 (lire en ligne).
Jacqueline Boucher, « Contribution à l'histoire du Duel des Mignons (1578) : une lettre de Henri III à Laurent de Maugiron », Nouvelle revue du XVIe siècle, vol. 18, no 2, , p. 113-126 (ISSN0294-1414, JSTOR25598928).
Jacqueline Boucher, « La crédibilité d'anecdotes d'Aubigné sur Henri III et sa cour », Albineana, Cahiers d'Aubigné, Niort, no 16 « Les anecdotes dans l’œuvre d'Agrippa d’Aubigné », , p. 121-138 (lire en ligne).
(en) Joseph Cady, « The « Masculine Love » of the « Princes of Sodom » : « Practising the Art of Ganymede » at Henri III's Court : The Homosexuality of Henri III and His Mignons in Pierre de L'Estoile’s Mémoires-Journaux », dans Jacqueline Murray et Konrad Eisenbichler (dir), Desire and Discipline : Sex and Sexuality in the Premodern West, Toronto, University of Toronto Press, , XXVIII-315 p. (ISBN978-0-802-07144-6, présentation en ligne), p. 123-154.
(en) Randy Conner, « Les molles et les chausses : Mapping the Isle of Hermaphrodites in Premodern France », dans Anna Livia et Kira Hall (dir.), Queerly Phrased : Language, Gender, and Sexuality, Oxford University Press, 1997, p.127-145.
(en) Gary Ferguson, Queer (re)readings in the French Renaissance : homosexuality, gender, culture, Aldershot, Ashgate, , IX-375 p. (ISBN978-0-7546-6377-5, présentation en ligne).
Arlette Jouanna, « Faveurs et favoris : l'exemple des mignons de Henri III », dans Robert Sauzet (dir), Henri III et son temps : actes du Colloque international du Centre de la Renaissance de Tours, octobre 1989, Paris, Librairie philosophique J. Vrin, coll. « De Pétrarque à Descartes » (no 56), , 332 p. (ISBN2-7116-1065-9), p. 155-165.
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Nicolas Le Roux, « Courtisans et favoris : l'entourage du prince et les mécanismes du pouvoir dans la France des guerres de religion », Histoire, économie et société, Paris, CDU SEDES, no 3 (17e année) « L'État comme fonctionnement socio-symbolique (1547-1635) », , p. 377-387 (lire en ligne).
Réédition : Nicolas Le Roux, La faveur du Roi : mignons et courtisans au temps des derniers Valois, Seyssel, Champ Vallon, coll. « Les classiques de Champ Vallon », , 2e éd. (1re éd. 2001), 805 p. (ISBN978-2-87673-907-9, présentation en ligne).
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(en) Anita M. Walker et Edmund H. Dickerman, « The King Who Would Be Man : Henri III, Gender Identity and the Murders at Blois, 1588 », Historical Reflections / Réflexions Historiques, vol. 24, no 2, , p. 253-281 (JSTOR41299117).