Titre original | I, Daniel Blake |
---|---|
Réalisation | Ken Loach |
Scénario | Paul Laverty |
Acteurs principaux |
Dave Johns |
Sociétés de production |
Sixteen Films Why Not Productions Wild Bunch |
Pays de production |
Royaume-Uni France Belgique |
Genre | Drame |
Durée | 100 minutes |
Sortie | 2016 |
Pour plus de détails, voir Fiche technique et Distribution.
Moi, Daniel Blake (I, Daniel Blake) est un film franco-britannique réalisé par Ken Loach, qui a obtenu la Palme d'or au Festival de Cannes 2016, ainsi que le César du meilleur film étranger.
Dans le Royaume-Uni des années 2010, Daniel Blake, un homme de 59 ans souffrant de graves problèmes cardiaques, et Katie Morgan, une mère célibataire de deux enfants, sont malmenés par les services sociaux. Ils essaient de s'entraider.
Depuis , les autorités du Royaume-Uni considèrent que de nombreuses personnes présentant des problèmes de santé ou de handicap peuvent accéder à un travail. Une prestation leur est versée, l'ESA (Employment and Support Allowance), pour les inciter à retrouver une activité. Ils sont tenus de participer à une série d'entretiens concernant leur recherche d'emploi[1]. En , le plan d'austérité mis en place par George Osborne[2] prévoit la privatisation du plus grand nombre des services publics. Ceux qui restent en place sont soumis aux mêmes normes managériales que le secteur privé : évaluation et concurrence[3]. Ce sont désormais des salariés rémunérés sur objectifs qui appliquent les règlements : la gestion sociale s'en trouve bouleversée[4].
Daniel Blake, veuf, menuisier de 59 ans, est victime d'un accident cardiaque, ce qui l'oblige à faire appel pour la première fois de sa vie à l'aide sociale. Ses médecins lui interdisent de travailler. Mais il est déclaré apte par une compagnie privée sous-traitant pour l'administration la « chasse aux tire-au-flanc[5] ». Les services sociaux le privent donc de l'allocation à laquelle il croyait avoir droit[6]. Il peut faire appel, mais la procédure sera longue. On lui conseille, en attendant, de s'inscrire au chômage[4].
Commence alors une « descente aux enfers[7] ». Blake est « pris dans le piège d’une administration tatillonne qui multiplie les humiliations : recours à des centres d’appels qui ne servent à rien, épuisant parcours de formulaires à remplir sur Internet, jamais complets, dédale kafkaïen et bureaucratique qui broie lentement mais sûrement[8] ». Blake se heurte « à une succession d’individus qui en sont à peine, des êtres qui parlent comme des répondeurs téléphoniques à options multiples, et qui veulent le forcer à se plier à des règles qui n’ont pour lui aucun sens[5] ». Pour percevoir une allocation, il est tenu de consacrer 35 heures par semaine à des recherches d'emploi[5]. « Je suis un homme malade, dit-il, recherchant des boulots inexistants[9]. » Il doit suivre un « atelier de CV »[7]. Dans un texte qu'il destine à une commission d'appel, il tient à préciser : « Je suis un homme, pas un chien. Un citoyen — rien de moins et rien de plus[9]. »
Lors d'un de ses rendez-vous « ubuesques[10] » au centre d’emploi, Blake fait la connaissance de Katie Morgan, mère célibataire contrainte de loger à 450 km de sa ville natale pour éviter d'être placée en foyer de sans-abri[11], ce qui lui ferait perdre la garde de ses deux enfants[10]. La fonctionnaire chargée de son dossier refuse de la recevoir, au motif qu'elle est arrivée en retard. Katie a beau expliquer qu'elle ne connaît pas la ville, qu'elle n'est pas familiarisée avec le réseau de bus local, rien n'y fait[12]. Son allocation est supprimée pour une durée d'un mois[13]. Blake et Katie vont s'entraider.
Le scénariste Paul Laverty explique d'où est venue l'idée du film : « La campagne de dénigrement systématique menée par la presse de droite contre tous les bénéficiaires de l'aide sociale, relayée par plusieurs émissions de télévision haineuses qui se sont engouffrées dans la brèche, a attiré notre attention. Les médias se délectaient de la détresse des gens de manière obscène[18]. » Pour le réalisateur Ken Loach, « le point de départ a été l'attitude délibérément cruelle consistant à maintenir les gens dans la pauvreté et l'instrumentalisation de l'administration — l'inefficacité volontaire de l'administration — comme arme politique. On sent bien que le gouvernement cherche à faire passer un message : « Voilà ce qui arrive si vous ne travaillez pas. Si vous ne trouvez pas de travail, vous allez souffrir. » Il n'y a pas d'autre explication à cette attitude. Et la colère que cette politique a provoquée chez moi m'a donné envie de faire ce film[18]. »
Selon leur habitude, Laverty et Loach se livrent à une longue enquête sur le terrain, recueillent des témoignages[8]. « Nous avons rencontré, dit Loach, un groupe de demandeurs d’emploi par l’intermédiaire d’une association caritative. Il y avait un jeune homme qui n’avait pas mangé depuis quatre jours. Un autre, à qui l’agence pour l’emploi avait demandé à 5 heures du matin de se rendre à un entrepôt à 6 heures, s’était entendu dire une fois sur place qu’il n’y avait pas de boulot. On évoque cette humiliation permanente et ce sentiment constant de précarité[6]. »
Le tournage commence le en Angleterre du Nord-Est, à Newcastle upon Tyne, et aux alentours[11]. Quelques scènes sont tournées à Londres[19].
Au Festival de Cannes, les longs métrages qui font figure de favoris pour la Palme d'or sont Toni Erdmann de Maren Ade, Paterson de Jim Jarmusch et Elle de Paul Verhoeven. Sans être le film le plus applaudi de la compétition cannoise, Moi, Daniel Blake est néanmoins favorablement accueilli par la presse et les festivaliers lors de sa projection[20]. Bertrand Tavernier dans la salle déclare : « Voilà ce que nous prépare Emmanuel Macron »[21].
Plusieurs avis mitigés ressortent de la projection. Christophe Narbonne, sur premiere.fr, juge le film « mécanique, voire paresseux », attaquable non sur le fond, mais « sur la forme et sur le traitement[22] ». Le quotidien de gauche Libération critique la faiblesse du métrage et parle de « Caricature de lui-même […] pur film de gauche pour spectateurs de droite »[23]. Serge Kaganski, sur lesinrocks.com, parle de « manichéisme proche de la démagogie », de « tract sentimentaliste et manichéen, imprégné d'un pathos mélenchonien […] du vieil anglais révolté », de « grosses ficelles », d'un film qui « relève plutôt du tract sentimentaliste et du chantage à l’émotion que du cinéma ». Kaganski conclut en traitant Loach de « médiocre cinéaste […] idéologue » et compare négativement le film à La Loi du marché[24]. Kaganski, à la sortie en salle du film, en revisitant la filmographie de Ken Loach, déclare que le réalisateur fit de grands films, mais que contrairement aux frères Dardenne, il tend dans ses longs-métrages faibles vers le populisme, la prévisibilité et le manichéisme facile[25].
Mais le film et le cinéaste ne manquent pas de défenseurs enthousiastes.