Par sa formule, qui associe action théâtrale, orchestre, chants et dialogues parlés[3], elle s’apparente à l’opéra-comiquefrançais ou au singspielallemand, genres qui, eux, n’apparaîtront qu’un siècle plus tard. Il a été recensé quelque 20 000 zarzuelas, depuis la naissance du genre jusqu’au XXe siècle[4].
L’appellation « zarzuela » provient du nom d’un lieu de villégiature royale au nord de Madrid, le palacio de la Zarzuela (litt. « palais de la ronceraie »)[5], devenu ultérieurement résidence du roi d'Espagne, où sont données au XVIIe siècle les premières soirées théâtrales et musicales dites Fiesta de la Zarzuela ; un intitulé rapidement abrégé et simplifié en zarzuela, sous l’influence de Pedro Calderón de la Barca, alors grand librettiste de ce genre lyrique[6].
Cependant, en Espagne, La zarzuela est précédée de vingt ans par des pièces entièrement chantées qu'on n'appelle pas encore « opéras », telles La gloria de Niquea (1622) et La selva sin amor (1627), sur un livret de Félix Lope de Vega, à la façon de ce qu’il en est alors depuis peu en Italie[7]. L'opéra espagnol va ainsi désormais poursuivre son chemin, à côté de son dérivé : la zarzuela[6].
La première œuvre de zarzuela répertoriée est El jardín de Falerina, datée de 1648. À l'origine spectacle de cour, la zarzuela va ensuite essaimer dans les théâtres ouverts à tous, essentiellement à Madrid avant de se répandre dans toute l’Espagne, puis, dès la fin du XVIIe siècle, dans les Amériques et jusqu’aux Philippines, à travers des ouvrages et des compositeurs aux styles très différents. Parmi les compositeurs majeurs et les œuvres importantes des XVIIe et XVIIIe siècles, il convient de mentionner : Juan Hidalgo, auteur de Celos aún del aire matan (1660) et Los celos hacen estrellas (1672) ; Sebastián Durón, auteur de Salir el amor del mundo (1696) et Coronis[8] (vers 1701-1705) ; Antonio de Literes, auteur de Acis y Galatea (1708) et Júpiter y Semele (1718) ; José de Nebra, auteur de Viento es la dicha de amor (1743) et Ifigenia en Tracia (1747) ; Antonio Rodríguez de Hita, auteur de Briseida (1768) et Las labradoras de Murcia (1769) ; Luigi Boccherini, auteur de Clementina[9] (1786), etc.
Jusqu’à la moitié du XVIIIe siècle, les thèmes des livrets sont exclusivement mythologiques (cas de Júpiter y Semele et Ifigenia en Tracia, par exemple), pour ensuite s’infléchir vers des sujets les plus divers et souvent avec des personnages de tous les jours (cas de Las labradoras de Murcia et Clementina). Cette évolution doit beaucoup au librettiste Ramón de la Cruz, principal instigateur de ce renouvellement du genre. Le style musical quant à lui s’apparente à celui de l’art lyrique baroque dans le reste de l’Europe, avec toutefois des traits propres (que l’on trouverait dans la musique religieuse espagnole de l’époque) ; puis, à partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle, prenant un caractère davantage symphonique dans l’orchestration, de plus en plus mêlé de formes typiquement espagnoles (pasacalles, fandangos, sarabandes, chaconnes)[10],[11].
Au début du XIXe siècle, le genre connaît une renaissance, prenant parfois un ton léger que l’on pourrait rapprocher de l’opérette (apparue en France vers 1840), surtout vers la fin du XIXe siècle et début du XXe siècle. Mais la très grande majorité des zarzuelas possèdent une tonalité dramatique, rarement portée à l’amusement et conduisant souvent à des fins tragiques (la meilleure correspondance esthétique serait plutôt l’opéra-comique français ou le singspiel allemand, en raison notamment de la présence de dialogues parlés)[3].
Pour ces deux siècles considérés, la zarzuela peut se partager en deux familles principales : la zarzuela « grande » et la zarzuela « chica » (petite). La première, généralement en trois actes, est destinée à occuper une soirée entière de représentation, sur des sujets historiques (cas de Pan y toros et de La bruja) ou dramatiques (cas de Curro Vargas et de Las golondrinas). Musicalement, elle porte tout d’abord l’influence du bel canto, pour peu à peu s’en libérer par des formes de chant qui lui sont propres, tout en restant parfois sensible aux courants lyriques du reste de l’Europe (Grand Opéra à la française, wagnérisme, vérisme…). La seconde catégorie, généralement en un acte et d’une durée d’environ une heure, revêt un caractère plus spécifique : avec des intrigues et personnages contemporains, issus du petit peuple et des prolétaires, de Madrid en particulier, notamment pour le género chico (« genre petit »), sous-genre de la zarzuela chica ; et des rythmes musicaux très souvent puisés aux sources espagnoles (cas de La Gran Vía et de La verbena de la Paloma). Carlos Arniches figure alors l’un des florissants librettistes de ces sujets gouailleurs mais non nécessairement joyeux. Il en serait de même pour les zarzuelas des Amériques hispaniques, qui régulièrement s’inspirent de thèmes autochtones et du folklore local[15],[16],[17],[18].
Ce type de pièces lyriques populaires se rencontre également dans des pays tels que les Philippines, avec, notamment, comme interprète au XXe siècle, Atang de la Rama[19].
En Espagne, le goût pour la zarzuela s'est progressivement remis à l'ordre du jour à partir des années 1970 et le nombre de représentations n'a cessé d'augmenter depuis. En 1971, un festival intitulé « Antología de la zarzuela » est célébré à Motril dans la province de Grenade. Les rois de Belgique Baudouin et Fabiola assistent au festival[20],[21] et le réalisateur Juan Manuel de la Chica en fait un reportage télévisé : Antología de la zarzuela[22]. Le titre de ce festival est repris par le producteur de théâtre Fernando García de la Vega pour l'émission hebdomadaire Antología de la zarzuela, diffusée par la TVE de 1979 à 1980, un programme télévisé qui connut un franc succès et plusieurs redifusions dans les années 1980 et 1990. Ces reportages et émissions, et l'augmentation du goût pour les spectacles lyriques en Espagne, ont contribué à un nouvel intérêt pour les Espagnols envers la zarzuela. Depuis la fin des années 1970, les maisons de disques créent des collections dans lesquelles les disques sont accompagnés de fascicules : livret, synopsis, études sur l'œuvre, biographie du compositeur y sont exposés.
La réputation de la zarzuela a néanmoins rarement dépassé les frontières du monde hispanophone (Espagne, Amérique hispanique, Philippines…) ; en raison peut-être de la langue espagnole des livrets, et d’autant plus pour leurs dialogues parlés qui peuvent aussi constituer un frein à une expansion internationale ; voire aussi en raison des sujets de ces livrets, souvent se rapportant à des thèmes hispanisants, bien que cela ne soit pas une règle générale tant s'en faut. La zarzuela commence toutefois à essaimer au-delà de ce monde, comme le montreraient ces dernières années des représentations en France, en Allemagne, en Autriche, en Suisse, en Italie, aux États-Unis, ou d’autres pays de tradition lyrique non hispanophone[25].
↑Pierre-René Serna, Guide de la Zarzuela : La zarzuela de Z à A, op. cit., p. 16-17. [lire en ligne (page consultée le 15 juin 2016)]. À titre de comparaison, l’opéra, tous pays et époques confondus, accumule environ 40 000 titres. Toutefois, sur les quelque 20 000 zarzuelas, certaines ont été perdues.
↑Nommé ainsi en raison des ronces (zarzas, en espagnol) parsemant autrefois les parages, ce palais existe toujours, bien que très modifié.
↑Pierre-René Serna, Guide de la Zarzuela : La zarzuela de Z à A, op. cit., p. 16-17.
↑Coronis a été donné dans une mise en scène d'Omar Porras et sous la direction musicale de Vincent Dumestre, dans une production créée à Caen en novembre 2019 puis reprise dans différentes villes de France, dont l’Opéra-Comique à Paris en février 2022. À noter que El imposible mayor en amor le vence Amor, longtemps attribué à Sebastián Durón (y compris pour la partition éditée en 2005 par l’ICCMU), est désormais considéré avoir été composé par José de Torres selon des recherches musicologiques qui ont été menées en 2015 ; voir Pierre-René Serna, La Zarzuela baroque, éd. Bleu Nuit, collection « Horizons », Paris, 2019, 176 pages ; (ISBN2-35884-086-6) (p. 56).
↑Manuel García Franco et Ramón Regidor Arribas, La zarzuela, Acento Editorial, Madrid, 1997 (ISBN84-483-0111-0), p. 9-39.
↑
Friedrich Nietzsche, Lettres à Peter Gast, traduction de l'allemand vers le français par Louise Servicen. Introduction et notes par André Schaeffner. Éditions du Rocher, 1957 (réédition de 1981 par Christian Bourgois éditeur, où la lettre du 16 décembre 1888 se trouve sur les pages 564 et 565).
↑Pierre-René Serna, Guide de la Zarzuela : La zarzuela de Z à A, op. cit., p. 111.
↑Œuvre aussi connue sous le titre María de la O, du nom d'une vierge. Les deux titres, successivement, furent attribués par Lecuona lui-même.
↑Manuel García Franco et Ramón Regidor Arribas, La zarzuela, op. cit., p. 42-61 et p. 70-84.
↑Emilio Casares Rodicio, Diccionario de la Zarzuela, España e Hispanoamérica (2 vol.), ICCMU, Madrid, 2002-2003, 962 et 1084 pages (ISBN84-89457-22-0 et 84-89457-23-9), vol. 2 : p. 1018-1035.
↑Pour les pays francophones, par exemple la Suisse romande ou la France, des zarzuelas ont été représentées à Lausanne, Paris, Beaune, Nancy, Toulouse... Voir « Une brève histoire de la zarzuela : 1re partie : Floraison baroque » (31 janvier 2014), premier d'une série de trois articles de Pierre-René Serna publiés sur Concertclassic.com
↑Le nom de famille de ce compositeur s'écrit Moreno-Buendía, avec trait d'union entre «Moreno» et «Buendía». Voir vol. 2, pages 356-357 in Emilio Casares Rodicio, Diccionario de la Zarzuela, España e Hispanoamérica (2 vol.), ICCMU, Madrid, 2002-2003, 962 et 1084 pages (ISBN84-89457-22-0 et 84-89457-23-9). Et aussi, par exemple : efe, «Manuel Moreno-Buendía: un compositor para "todos los públicos"», ABC, 24/11/2012.
(es) Emilio Casares Rodicio, Diccionario de la Zarzuela, España e Hispanoamérica (2 vol.), ICCMU, Madrid, 2002-2003, 962 et 1084 pages (ISBN84-89457-22-0 et 84-89457-23-9)
Antoine Le Duc, La Zarzuela : Voyage autour du théâtre lyrique espagnol, éd. Mare et Martin, Paris, 2008, 737 pages (ISBN978-2-84934-042-4)