L'expression acidification des eaux douces désigne les phénomènes d'acidification des eaux non marines, quand cette acidification est d'origine anthropique.
Elle concerne notamment des eaux de lacs, étangs, mares, sources, rivières et fleuves, ainsi que les eaux de ruissellement voire de nappe phréatique. Par extension on inclut parfois les eaux saumâtres dans cette liste.
Pour le chimiste, l'acidification est une diminution du pH des eaux douces. Quand elle est due à des composés azotés, l'acidification s'accompagne souvent de phénomènes d'eutrophisation.
Quand elle est anthropique et qu'elle a des effets adverses sur les écosystèmes, c'est une des formes de la pollution de l'eau ; diffuse et « transfrontière ».
Les phénomènes d'acidification des eaux douces peuvent être classés en trois grandes catégories selon leur origine :
Ces contaminants sont surtout :
Ces acidifiants peuvent souvent agir seuls ou cumuler et multiplier leurs effets (effet synergique des cocktails de polluant).
Pour les principaux acidifiants, le passage du rejets anthropique à l'acidification de l'eau ou du sol se déroule en plusieurs étapes :
c'est-à-dire la formation de ces ions correspond à la formation d'acide (acide sulfurique, d'acide nitrique et d'acide chlorhydrique en solution, pour ce qui concerne les trois ions cités en exemple ci-dessus), avec formation simultanée de cations basiques associés (calcium, magnésium, potassium principalement...). Tant que ces cations sont disponibles dans le milieu (ce qui est plus probable dans un grand bassin versant, dont la nature géologique est majoritairement calcaire, zones qui correspondent souvent à la localisation des champs captants et des captages d'eau potable en zone calcaire, alors qu'en zone argileuse ou granitique, faute de nappe phréatique, les captages se font en rivière ou lacs et plutôt dans le haut des bassins versants où l'eau est habituellement moins turbide et moins polluée, mais où elle peut être la plus acidifiée[4] car l'acide qu'elle contient a eu moins de temps pour être neutralisé par les cations du milieu. Quel que soit le contexte, si les cations en solutions viennent à manquer, l'eau devient « chimiquement agressive » pour de nombreuses espèces vivantes ;
Plusieurs facteurs interagissent dont :
Sauf dans le cas du « drainage minier acide » qui peut justifier une interdiction totale de la baignade et de toute activité de loisirs aquatiques, l'acidification est habituellement trop légère pour qu'il existe un risque directe de brûlure de la peau humaine, lors d'une baignade par exemple.
Les risques sont surtout indirects :
Une eau acide est plus agressive vis-à-vis des substrats avec lesquels elle est en contact. L'acidification des eaux de surface semble donc pouvoir aggraver certains phénomènes de surcreusement de cours d'eau (dans les roches calcaires tendres et tout particulièrement dans les cours d'eau dits « à haute énergie ») et en contexte karstiques. L'acidification peut aussi diminuer la capacité de nanofiltration ou de microfiltration de certaines roches-réservoir sensibles aux acides (roche calcaire perméable mais peu faillée notamment).
Inversement plus en amont, les minéraux solubilisés dans ces substrats ou ailleurs peuvent cristalliser ou alimenter à des phénomènes de biominéralisation algaux ou microbiens[11] susceptible d'expliquer certains colmatages encroutant de fonds de cours d'eau. Ce phénomène résulte de la conjonction d'au moins 3 mécanismes (l'adhésion bactérienne et la formation de biofilms, la formation de précipités et la filtration-sédimentation de particules et de nécromasse[12]). Un colmatage biominéral parfois intégral du fond de rivière est parfois observé, pouvant alors avoir de graves effets sur l'écosystème, et en particulier sur les macroinvertébrés et autres espèces du benthos et de l'hyporhéos[13]. Ce type de colmatage a par exemple été étudié en France sur le fonds de la Loue[14]. Il peut être très efficace et très résistant par exemple en cas de comatage ferrique (précipitation de fer et parfois d'autres métaux localement abondant dans le sol)[15]
Ce type de colmatage affecte le fonctionnement écologique du cours d'eau, et il peut dans certains contexte aussi :
L'acidification de l'eau induit des changements dans la chimie et la biochimie des milieux aquatiques, de la source à (in fine) l'océan. Toutes les eaux superficielles marines ont vu de 1751 à 2004 leur pH nettement diminuer (passant en moyenne de 8,25 à 8,14)[19],[20].
Au-delà de certains seuils (on parle aussi de « charges critiques », des effets délétères apparaissent pour les espèces et les écosystèmes, à cause d'un double effet :
Peu d'espèces animales survivent à des pH inférieurs à 5 et seules quelques bactéries extrémophiles survivent à des pH très bas (dont dans les eaux de drainage acide minier[21]).
En outre l'azote est aussi un puissant eutrophisant surtout sous forme d’ammoniaque (toxique et écotoxique au-delà de certains seuils), d'ammonium et plus encore de NO3− qui est particulièrement soluble dans l'eau douce[22]. L'azote anthropique est l'une des principales causes de l'eutrophisation ou dystrophisation des mares, lacs, marais et rivières et de certains sols. L'ammonium gazeux atmosphérique vient notamment des fertilisants d'origine animale et de fertilisants azotés ; une fois redéposés sur un sol humide ou dissous dans les eaux, cet azote peut produire de l'acide nitrique et des ions hydrogène libres. Le phosphore d'eaux usées était ou est encore parfois en cause dans certains phénomènes d'eutrophisation de lacs et autres masses d'eau, mais l'eutrophisation des eaux douces et peu minéralisées a également des effets adverses. Les modifications floristiques[23]. (appauvrissement de la biodiversité et/ou de la diversité génétique) induites par l'acidification des eaux résultent souvent des effets combinés de l'acidification et de l'eutrophisation induites par les retombées acides d'origine industrielle, agricole, routière et urbaine.
Les régions montagneuses et pré-montagneuses ne sont pas épargnées par l'acidification (surtout dans les zones granitiques naturellement acides), avec par exemple des lacs subalpins pollués par le sulfate d'ammonium. De manière tout système ou écosystème d'eaux très douces et naturellement acides y est vulnérable. Des études faites en Italie et aux Pays-Bas ont montré pour les sites étudiés que « dans tous ces cas l'effet de l'acidification due aux transformations biochimiques de l'ammonium, et en particulier à l'oxydation de l'ammonium, bien mis en évidence par l'abaissement du pH jusqu'à des valeurs inférieures à 4 ».
Au-delà de certains seuils d'acidification (et de teneurs de l'eau en éléments indésirables), certaines espèces, puis toutes les espèces de poissons disparaissent. Ceci a notamment été montré en Europe du Nord dans les lacs et cours d'eau touchés par les « pluies acides », traités par des apports de calcium (craie, chaux). Il est à noter que cependant, les complexes argilo-humiques, quand et là où ils existent, peuvent limiter les effets négatifs de l'acidification.
Des effets neurologiques et comportementaux préoccupants ont été démontrés chez des poissons exposés à une eau acidifiée (in situ et en laboratoire).
L'odorat des poissons leur est vital, pour reconnaitre la signature biochimique et olfactive de leur habitat, de leur propre espèce et celle d'espèces concurrentes ou prédatrices[24]. Or, il a récemment été démontré que chez les poissons marins, au-delà d'un seuil (déjà atteint dans certaines zones volcaniques où du CO2 dégaze naturellement du fond), l'acidification de l'eau perturbe gravement le comportement de certaines espèces de poissons qui semblent devenir insensibles aux odeurs ou les percevoir différemment[25], y compris les odeurs utilisées par les poissons pour s'orienter[26] et celles de leurs prédateurs[27] ou celles qui permettent aux alevins de détecter des zones de nourriceries et de ne pas se laisser emporter par le courant[28]. Plus grave : à un pH de 7,8 (qui sera celui des mers chaudes vers 2100 selon les études prospectives) les larves du poisson clown (Amphiprion percula) au lieu de fuir des stimuli olfactifs qui normalement les repoussent (odeur d'un prédateur), sont attirées par cette odeur ; et au-delà d'un pH 7,6, les larves de cette espèce ne semblent plus percevoir aucun stimuli olfactif, ce qui augmente considérablement le risque qu'elles soient prédatées[29],[30] (très bien montré dans un documentaire australien diffusé sur Arte en 2014[31]). Les poissons carnivores semblent plus touchés par ce phénomènes que les poissons herbivores[32]. On ne sait pas avec certitude si c'est l'acidification même ou un effet encore incompris du CO2 en tant que molécule sur le poisson qui est en cause, mais des chercheurs ont conclu en 2012 d'une étude que la fonction de neurotransmission du système olfactif des poissons est affectée par l'acidification[33].
De plus, une autre étude a démontré en 2011 que l'audition du poisson clown est également dégradée (dès le stade juvénile) dans une eau acidifiée, ce qui pourrait perturber ses capacités de fuite ou d'orientation[34]. On ignore si et en combien de temps, ces comportements anormaux et nocifs pourraient être corrigés par les mécanismes de la sélection naturelle ou s'ils peuvent causer la disparition des espèces qui en sont victimes.
L'éventualité que des effets similaires existent sur des poissons d'eau douce exposés à une eau acidifiée ne semble pas encore avoir été étudiée.
Au-delà de certains seuils d'acidification de l'eau, les animaux à coquilles ou thèque calcaire (et leurs larves surtout) ont des difficultés à synthétiser leur thèque, leur squelette planctonique ou leur coquille[35].
Il a été montré qu'en milieu marin, plus l'acidification est importante, plus ces espèces, dont le plancton microscopique qui est à la base de la chaîne alimentaire ont des difficultés à biosynthétiser le carbonate de calcium[36]. Ce phénomène a notamment été étudié pour les huîtres en raison de leur intérêt économique, mais il reste mal évalué en eau douce où les seuils sont certainement différents.
Quand l’acidification commence à affecter les animaux à coquilles d'animaux filtreurs tels que les moules d'eau douce ou des « racleurs » tels que les escargots aquatiques, elle contribue à la dégradation de la qualité de l'eau et des sédiments, (comme c'est aussi le cas dans les océans avec les moules et huitres par exemple[37] qui filtrent et nettoient quotidiennement de grands volumes d'eau[38]).
Et alors même que les filtreurs sont moins efficaces ou disparaissent, l'eau acide met en solution une plus grande quantité de métaux lourds et d'autres toxiques (métalloïdes, radionucléides..)
Les prévisions du GIEC (ou IPCC en anglais) font envisager une augmentation du taux de CO2 dans l’atmosphère, qui devrait donc induire une diminution du pH des eaux, comme dans les mers[39].
Un rapport du PNUE envisage une diminution du pH de 0,3 d'ici 2100, tandis qu'un communiqué de presse du CNRS avance une baisse de 0,4[40],[41].
Un des défis à relever pour la recherche est de mieux comprendre les effets synergiques, très complexes, qui existent ou pourraient exister entre l'acidification, l’eutrophisation, le réchauffement de l'eau, des phénomènes locaux d'anoxie et d'autres modifications anthropiques des eaux douces, car de telles synergies peuvent aggraver et/ou accélérer les changements globaux[42].
En France : Selon les données de l'Ademe ou issues de différents programmes universitaires, ou encore du réseau Renecofor[43], les calculs de charges critiques faits en France désignent comme régions vulnérables à l’acidification : les Ardennes, les Vosges, l’Alsace, la Moselle, l’est du Massif central, les Landes, le sud-ouest de l'Île-de-France, la Bretagne, la Normandie et ponctuellement la Champagne, le rebord ouest du Massif Central, les Pyrénées, en raison du fait qu'elles sont déjà naturellement acide en raison de la présence d'un socle géologique granitique. Néanmoins, même dans des régions à dominante calcaire, des buttes tertiaires ou certaines tourbières (tourbières à sphaignes) présentes sur des milieux dont les ions basiques ont été lessivés au cours des âges peuvent aussi être très vulnérables à l'acidification des eaux. L'eutrophisation qui peut aggraver les effets de l'acidification et qui lui est souvent conjointe concerne elle « la quasi-totalité de la France : les cartes de charges critiques de l’azote eutrophisant suggèrent que plus de 90 % de la superficie de la France est soumise à des dépôts qui entraînent ou entraîneront l’eutrophisation des écosystèmes »[4].