Massacre de Khan Cheikhoun | |||
Date | |||
---|---|---|---|
Lieu | Khan Cheikhoun | ||
Victimes | Civils | ||
Type | Attaque chimique | ||
Morts | 86 à 100 au moins[1],[2] | ||
Blessés | 400 à 557 au moins[2],[3] | ||
Auteurs | Armée syrienne[4],[5],[6],[7],[8],[9] | ||
Guerre | Guerre civile syrienne | ||
Coordonnées | 35° 26′ 43″ nord, 36° 39′ 06″ est | ||
Géolocalisation sur la carte : Syrie
Géolocalisation sur la carte : Moyen-Orient
| |||
modifier |
Le massacre de Khan Cheikhoun du est une attaque chimique commise au cours de la guerre civile syrienne. Elle est menée par l'aviation du régime syrien sur la ville de Khan Cheikhoun, tenue par les forces rebelles alors engagées dans une offensive au nord de Hama. Le gaz, probablement du sarin possiblement mélangé avec du chlore, provoque la mort d'une centaine de civils et fait environ 500 blessés.
Un premier massacre a lieu dans la région en février 2017, lorsque des affrontements éclatent entre le Hayat Tahrir al-Cham, l'Armée syrienne libre et le Liwa al-Aqsa. Les djihadistes du Liwa al-Aqsa, accusés par les rebelles d'être liés à l'État islamique, tiennent alors la ville de Khan Cheikhoun, située entre Hama et Ma'arrat al-Numan. Au cours des combats, ils capturent puis massacrent environ 200 hommes de l'Armée syrienne libre et du Hayat Tahrir al-Cham, dont les corps sont ensuite enterrés dans des fosses communes[10],[11],[12]. Un accord met fin aux combats à la mi-février, le Liwa al-Aqsa est dissout et ses combattants évacuent le gouvernorat de Hama, certains rejoignent l'État islamique à Raqqa, d'autres rallient le Parti islamique du Turkestan[13],[14]. Khan Cheikhoun est alors investie par les rebelles ; selon Charles Lister, chercheur américain au Middle East Institute (en), en avril 2017 le principal groupe qui occupe la ville est Ahrar al-Cham[15].
Le , le Hayat Tahrir al-Cham, l'Armée syrienne libre, Ahrar al-Cham et quelques autres groupes lancent une offensive au nord de la ville de Hama[16],[17]. Les rebelles ont d'abord l'avantage, ils s'emparent de plusieurs petites villes et villages et arrivent à quatre kilomètres de Hama[18],[19]. Cependant les loyalistes reçoivent ensuite des renforts, puis ils passent à la contre-offensive et commencent à reprendre le terrain perdu à partir du 31 mars[20],[21].
Le , une première attaque chimique est menée à Latamneh, une ville tenue par les rebelles au nord-ouest de Hama, selon l'OSDH et Médecins sans frontières (MSF)[20],[22]. Elle fait une cinquantaine de blessés selon l'OSDH[20].
Le régime syrien a toujours nié avoir employé des armes chimiques lors de la guerre civile. Cependant, en août 2016, le Joint Investigative Mechanism (JIM), la commission d'enquête conjointe de l'ONU et de l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC) avait confirmé l'utilisation de chlore et la responsabilité de l'armée syrienne dans plusieurs attaques[23],[24].
Le , une nouvelle attaque chimique est menée sur la ville de Khan Cheikhoun, au nord des positions rebelles[25]. Entre 6 h 40 et 7 heures du matin, alors que les habitants dorment encore, des bombes explosent dans le quartier résidentiel du sud de Khan Cheikhoun[5],[25]. Des habitants observent alors deux passages de Soukhoï Su-22[5]. Après avoir explosé sans faire beaucoup de dégâts, les bombes chimiques libèrent leur gaz[5]. À 7 heures, les hôpitaux sont en alerte[5].
Les casques blancs de la Défense civile syrienne se rendent sur les lieux des frappes pour évacuer les blessés, mais ils ignorent que des armes chimiques ont été utilisées et certains d'entre-eux sont contaminés[2],[3],[5]. De nombreuses victimes sont aspergées d'eau par les médecins et les secouristes pour tenter de les réanimer[5],[26],[27]. Mais le directeur de la santé de la province d'Idleb, le docteur Moundhir Al-Khalil, déclare : « Nous manquons de cadres de santé, nous n’avons pas d’équipements ni de combinaisons de protection, ni les médicaments nécessaires aux traitements de victimes d’une attaque aux armes chimiques en nombre suffisant. Tous nos stocks ont été utilisés ces deux derniers jours »[3]. Selon Raphaël Pitti, médecin urgentiste spécialisé en médecine de guerre travaillant pour l'Union des organisations de secours et soins médicaux (UOSSM) : « Trois traitements sont utilisés pour contrer les effets du sarin : de l’atropine à haute dose contre l’asphyxie, du valium contre les convulsions, et du contrathion comme antidote, détaille-t-il. Les stocks des deux premiers ont été épuisés, le troisième est totalement absent à Khan Cheikhoun. Dans ces conditions, cette attaque était sûre de provoquer un massacre. Les protocoles de réaction à une attaque chimique n'ont pu être respectés. Les victimes ont seulement été lavées grossièrement, à même le sol. Une pratique qui peut s’avérer dangereuse car cela refroidit des malades qui sont déjà en état de choc. Pour contrer l’asphyxie, l’assistance respiratoire est souvent menée manuellement. Le personnel médical a très peu de respirateurs électriques »[5].
L'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH), des vidéos publiées sur internet et des témoignages de médecins et de secouristes sur place font état chez les victimes d'évanouissements, de convulsions, de vomissements, de pupilles dilatées, de mousse dans la bouche et de suffocations[26],[27],[28],[29]. Pour Raphaël Pitti : « Tous les symptômes cliniques concordent : hyperstimulation du système nerveux qui provoque le coma, pupilles extrêmement rétrécies qui ne réagissent plus à la lumière, blocage de l’appareil respiratoire, stimulation des sécrétions buccales - bave - qui aggrave une asphyxie profonde, convulsions musculaires permanentes - les victimes "battent des ailes" -, douleurs abdominales, diarrhées, incontinence… ce sont tous les symptômes provoqués par le gaz sarin »[5].
Quatre heures après l'attaque chimique, le centre de la Défense civile syrienne, utilisé comme morgue improvisée, est détruit par une frappe aérienne[2],[3],[5],[8]. Quatre casques blancs sont gravement blessés[3]. Peu après, l'hôpital Al-Rahma de Khan Cheikhoun — le seul en fonction dans cette ville — est à son tour bombardé, le bâtiment n'est pas directement touché mais les dégâts le rendent inopérant et il doit être évacué[2],[5],[30],[31]. L'équipe médicale décide alors d'évacuer les blessés vers d'autres villes dans le gouvernorat d'Idleb[2],[3],[32]. Les cas les plus graves sont envoyés à Bab al-Hawa, à la frontière turque[32],[33]. Le principal hôpital de la région, celui de la ville de Ma'arrat al-Numan, à une vingtaine de kilomètres au nord de Khan Cheikhoun, avait également été ciblé et mis hors service le 2 ou le 3 avril[3],[8]. Celui-ci comptait également une unité de réaction aux attaques à l'arme chimique[8],[28].
Les symptômes observés font immédiatement penser à un gaz de type sarin[7],[27],[34],[35], qui pourrait avoir été mélangé avec du chlore[5],[7],[32]. Le 5 avril, Médecins sans frontières (MSF) annonce qu'une de ses équipes s'est rendue à l'hôpital de Bab Al-Hawa, dans le gouvernorat d'Idleb et a « décrit des symptômes concordants avec une exposition à un agent neurotoxique de type gaz sarin »[36]. En septembre 2013, après le massacre de la Ghouta, l'Organisation des Nations unies avait adopté la résolution 2118 obligeant le régime syrien à démanteler son arsenal chimique sous la supervision d'une mission conjointe de l'ONU et de l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC)[37]. Après un accord russo-américain, 13 000 tonnes de produits toxiques avaient été évacuées du pays pour être détruites[37]. Le , l'OIAC avait déclaré que 100 % de l'arsenal chimique syrien — en majorité constitué de gaz moutarde et de sarin — a été détruit[38]. Cependant, le régime syrien pourrait en avoir dissimulé quelques tonnes ou aurait relancé une production à petite échelle[37],[39],[40],[41]. Pour Gunnar Jeremias, expert au Research Group for Biological Arms Control à l'université de Hambourg : « Tout l'arsenal n'a pas été détruit, nous en avons la conviction depuis maintenant deux ans »[42].
Dans les heures qui suivent le massacre, l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH), fait état d'un bilan d'au moins 58 morts — dont 11 enfants — et 170 blessés parmi les civils[25]. Le lendemain, l'OSDH revoit son bilan à la hausse, à au moins 72 morts — dont 17 femmes et 20 enfants — mais indique qu'« il y a des personnes disparues » et que le bilan pourrait encore augmenter[43]. Le 6 avril, il hausse encore son bilan à au moins 86 morts, dont 30 enfants, et 160 blessés[1]. À la date du 15 avril, l'OSDH arrive à un bilan d'au moins 88 morts, dont 31 enfants[44].
Le 6 avril, la direction de la santé de la province d'Idleb, dirigée par le docteur Moundhir Al-Khalil, recense 87 morts identifiés, dont 32 enfants, et 557 blessés et indique que 54 blessés graves ont été transférés en Turquie[3]. Le 6 avril, l'Unicef — qui déploie neuf ambulances et apporte son aide à sept cliniques mobiles et hôpitaux dans la région — fait état 546 blessés en indiquant cependant que « ces chiffres vont probablement augmenter », elle fait aussi état de la mort d'au moins 27 enfants[1].
L'Union des organisations de secours et soins médicaux (UOSSM) affirme quant à elle dès le 4 avril que l'attaque a fait plus de 100 morts, dont 25 enfants, et 400 blessés[2],[33]. Ce bilan est confirmé par la direction médicale de la province d’Idlib[45].
Le régime syrien et la Russie nient être impliqués dans le massacre, cependant les États-Unis, la France, le Royaume-Uni et la Commission européenne accusent aussitôt le régime de Bachar el-Assad[46]. Le président de la Turquie, Recep Tayyip Erdoğan, déclare que l'attaque « chimique » et « inhumaine » menace « tous les efforts fournis dans le cadre du processus d’Astana »[46]. Le lendemain, Erdogan impute l'attaque de Khan Cheikhoun à l'« assassin Assad »[47].
Côté américain, le secrétaire d'État Rex Tillerson affirme : « Quiconque utilise des armes chimiques pour attaquer son propre peuple montre un mépris fondamental pour la décence humaine et doit rendre des comptes », il appelle « la Russie et l'Iran, une fois encore, à exercer leur influence sur le régime syrien pour garantir que ce genre d'attaque atroce n'ait plus jamais lieu »[48]. Dans un communiqué publié par la Maison-Blanche, le président américain Donald Trump accuse même son prédécesseur, Barack Obama, d'être responsable de l'attaque : « Ces odieuses actions du régime de Bachar el-Assad sont une conséquence de la faiblesse et de l'indécision du gouvernement précédent. Le président Obama a dit en 2012 qu'il établirait une “ligne rouge” contre l'utilisation d'armes chimiques, et ensuite, il n'a rien fait »[49],[50]. Cependant en 2013, dans les jours qui avait suivi le massacre de la Ghouta, Trump s'était dit opposé à une intervention militaire contre la Syrie[49]. Mais après le massacre de Khan Cheikhoun, il déclare : « Je change et je suis flexible. [...] L'attaque contre des enfants a eu un fort impact sur moi. Un fort impact. [...] Ça a été une chose horrible, horrible [...] Et il est très, très possible, et je dois dire que c'est déjà le cas, que mon attitude face à la Syrie et Assad a beaucoup changé »[50],[51],[52]. Certains responsables républicains, comme John McCain et Marco Rubio, reprochent également à Rex Tillerson et Nikki Haley d'avoir affirmé cinq jours avant l'attaque que la chute du dictateur syrien n'était plus une priorité pour les États-Unis : selon eux ce « signal envoyé [...] n'a pu que motiver Assad »[53].
Le président français François Hollande déclare quant à lui : « Une fois encore le régime syrien va nier l’évidence de sa responsabilité dans ce massacre. Comme en 2013, Bachar Al-Assad compte sur la complicité de ses alliés pour bénéficier d’une impunité intolérable. Ceux qui soutiennent ce régime peuvent une nouvelle fois mesurer l’ampleur de leur responsabilité politique, stratégique et morale »[46]. Le 5 avril, Boris Johnson, ministre britannique des affaires étrangères, déclare que : « Toutes les preuves que j’ai vues suggèrent que c’était le régime d’Assad (…) utilisant des armes illégales en toute connaissance de cause sur son propre peuple »[36]. Federica Mogherini, vice-présidente de la Commission européenne, déclare également que la « principale responsabilité » de l'attaque repose sur régime de Damas[54].
L'armée syrienne prétend une nouvelle fois n'avoir jamais fait usage d'arme chimique et affirme que : « Les groupes terroristes et ceux qui les soutiennent sont responsables d'avoir utilisé des substances chimiques et toxiques et d'avoir été négligents avec les vies de civils innocents »[55]. L'Iran annonce le 5 avril qu'elle « condamne vigoureusement toute utilisation d'armes chimiques quels que soient les responsables et les victimes » et réclame un « désarmement chimique des groupes armés terroristes »[56]. La Chine déclare aussi le 7 avril : « Nous nous opposons à l'usage d'armes chimiques, par n'importe quel pays, organisation, ou individu, et quelles que soient les circonstances et l'objectif »[57]. Le 5 avril, le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov accuse les Casques blancs d'avoir « mis en scène » des cadavres dans une volonté délibérée de « provocation », tandis que le ministère russe de la Défense affirme dans le même temps que l'attaque chimique a été provoquée par une frappe de l'aviation syrienne sur un entrepôt : « l'aviation syrienne a frappé un entrepôt d’armes chimiques et d’équipement militaire des terroristes, situé dans l’est du village rebelle de Khan Cheikhoun. Dans cet entrepôt se trouvaient des ateliers pour la production de bombes chargées d’explosifs toxiques. Depuis ce grand atelier, les terroristes envoyaient des munitions contenant des substances chimiques en Irak »[5],[58],[59]. Interviewé par l'AFP le 12 avril, Bachar el-Assad déclare : « Il s'agit pour nous d’une fabrication à cent pour cent […] Notre impression est que l'Occident, principalement les États-Unis, est complice des terroristes et qu’il a monté toute cette histoire pour servir de prétexte à l'attaque » de la base aérienne d'Al-Chaayrate, le 7 avril[60].
La responsabilité du régime syrien, ou l'usage même d'armes chimiques à Khan Cheikhoun, sont également niées dans des théories du complot relayées notamment par l'extrême-droite américaine[61],[62],[63],[64].
Le soir du 4 avril, les États-Unis, la France et le Royaume-Uni présentent un projet de résolution au Conseil de sécurité des Nations unies pour condamner Damas après l’attaque chimique de Khan Cheikhoun et appelle à une enquête complète et rapide de l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC)[45],[65]. Ils réclament que la Syrie fournisse toutes les informations sur ses opérations aériennes, notamment les registres de vols, à une équipe internationale d'enquêteurs[66]. La Russie juge cependant « inacceptable » en l'état ce projet de résolution, qui pourrait conduire à une intervention de forces armées en Syrie[67]. Les États-Unis menacent alors d'une action unilatérale en cas d'échec à l'ONU[67]. Le 5 avril, lors de la réunion d'urgence du Conseil de sécurité des Nations unies, l'ambassadrice américaine Nikki Haley montre des photos d'enfants morts pendant l'attaque chimique et déclare : « Quand les Nations unies échouent constamment dans leur mission d'action collective, il y a des moments dans la vie des Etats où nous sommes obligés d'agir nous-mêmes »[42],[50],[67]. Le 12 avril, la résolution est bloquée une nouvelle fois par un veto de la Russie — son 8e depuis le début de la guerre civile syrienne — la Bolivie vote contre ; la Chine, l'Éthiopie et le Kazakhstan s'abstiennent ; tandis que les États-Unis, la France, le Royaume-Uni, le Japon, l'Égypte, l'Italie, le Sénégal, la Suède, l'Ukraine et l'Uruguay votent pour[68],[69].
Le 6 avril, Carla Del Ponte, la représentante de la commission d'enquête des Nations unies sur la Syrie, déclare que la responsabilité du régime de Bachar el-Assad dans l'attaque chimique est certaine : « Ce qui est certain, c’est que c’était un bombardement aérien et que c’était le régime syrien qui bombardait »[9],[70].
Kareem Shaheen, un journaliste du Guardian, dit être le premier à être parvenu sur le lieu où se sont déroulés les faits. D'après les russes, le bombardement syrien aurait touché un entrepôt où étaient fabriqués des armes chimiques, mais selon Kareem Shaheen, l'épicentre de la contamination chimique ne se situe pas dans un entrepôt, mais sur une route. De plus, les bâtiments aux alentours de l'impact sur la route n'ont pas été utilisés récemment, selon les témoignages des résidents[71].
La version russe est par ailleurs réfutée par Raphaël Pitti, médecin urgentiste spécialisé en médecine de guerre travaillant pour l'UOSSM[72] : « Reprenons les bases de cette théorie. Si cet entrepôt existait vraiment et stockait du gaz sarin, il aurait été sous forme liquide, dans des conteneurs ou des obus et missiles, qui auraient été volés au régime syrien. Il est très peu probable que les rebelles aient pu en fabriquer eux-mêmes. Pour que le gaz soit répandu, tel qu’il l’a été, il aurait fallu qu’une explosion détruise les contenants et que le liquide soit chauffé, par la suite, à plus de 147 °C pour devenir un gaz. Un grand incendie l’aurait permis. Les témoins auraient donc entendu et vu plusieurs explosions de grande ampleur et un incendie. Ce serait aussi visible par satellite. Mais cela ne semble pas être le cas. Il y aurait aussi eu beaucoup plus de victimes »[5],[32].
Pour, Olivier Lepick, chercheur associé à la Fondation pour la recherche stratégique et spécialiste des armes chimiques, l'explication russe est « de la foutaise » et précise : « Il n’y a pas d’entrepôt d’armes chimiques dans cette zone rebelle. Et s’il y en avait eu un, touché par un bombardement, il n’y aurait pas eu autant de morts et d’intoxiqués. [...] Un obus chimique, qu’il soit tiré par un lance-roquettes, l’artillerie ou l’aviation, est composé d’un agent toxique, mais aussi d’un agent de dissémination qui lui permet de frapper une zone élargie. Si des obus chimiques entreposés sont touchés par une frappe classique, ils explosent, directement ou sous l’effet de la chaleur, mais ils ne disséminent pas le produit toxique autant que si ils avaient détonné normalement. L’explication russe ne tient pas une seconde »[73],[39]. Il indique également que les images satellites ne montrent aucun entrepôt dans les zones touchées par les attaques et que « le sarin et les neurotoxiques figuraient dans l'arsenal chimique du régime syrien et n'ont jamais été trouvés ni dans les mains ni même dans un atelier de la rébellion. Car il est indispensable de rappeler qu'il est extrêmement complexe de conserver du sarin »[40]. Pour Olivier Lepick : « nous avons un faisceau de présomptions suffisamment fort pour statuer de manière quasi définitive sur la culpabilité du régime de Bachar al-Assad »[74].
Le 5 avril, Hamish de Bretton-Gordon, expert britannique en armes chimiques, déclare également que les affirmations russes sont « totalement fausses et intenables » et indique : « Si vous faites exploser du sarin, vous le détruisez »[66].
De même, pour Gunnar Jeremias, expert au Research Group for Biological Arms Control à l'université de Hambourg : « La dissémination très efficace des substances chimiques pointe du doigt le régime syrien »[42]. Il précise : « Si les Russes suggèrent que le dépôt d'armes rebelle abritait des précurseurs, alors il est tout à fait impossible que la détonation de bombes conventionnelles ait pu provoquer le mélange de ces précurseurs et provoqué leur dissémination. S'ils pensent à des substances chimiques stockées, j'émets aussi de larges doutes. Le bombardement a provoqué une dissémination très efficace de ces substances, non pas dans une seule rue, mais dans tout un quartier. Or il n'est pas si aisé de disséminer de telles substances. La nature de ces substances n'est pas formellement établie, mais je dirais qu'il ne s'agit pas de chlorine, plus certainement du sarin, au vu des symptômes observés chez les victimes (mousse sur les lèvres, suffocation). Vous ne fabriquez pas de telles substances dans votre garage, comme pourraient le faire des groupes rebelles syriens. Il s'agit d'un produit de très haute qualité, au vu du nombre élevé de victimes et de cette dissémination très vaste. Seul un État peut parvenir à un tel résultat »[75].
Scott Ritter , ancien inspecteur en désarmement des Nations unies, penche quant à lui pour la version russe. D'après lui, si les bâtiments abritaient ou fabriquaient effectivement des armes chimiques, la probabilité d'une dispersion dans le voisinage et d'une diffusion par le vent dominant est élevée. Toujours selon Scott Ritter, Al-Nosra a une longue histoire de fabrication et d'utilisation d'armes chimiques; notamment l'attaque sur la Ghouta en 2013 a été réalisée avec du gaz sarin de mauvaise qualité fabriqué localement, et les attaques chimiques d'Alep en 2016 ont fait appel à un mélange de phosphore blanc et de chlore[76].
L'objectif du régime de Damas est de reprendre le contrôle de toute la Syrie par les armes[77],[4]. Dans une interview donnée à l'AFP le , Bachar el-Assad affirme son intention de reconquérir tout le pays, quitte à mener de « longs » combats : « Que nous soyons capables de le faire ou non, c'est un but que nous chercherons à atteindre sans hésitation »[78],[79],[80],[81]. Cependant ces objectifs ne sont pas totalement en phase avec ceux de la Russie qui réagit quelques jours plus tard. Le , Vitali Tchourkine, ambassadeur de la Russie aux Nations Unies, estime alors que les déclarations du président syrien « dissonent avec les efforts diplomatiques entrepris par la Russie » afin de mettre fin aux hostilités en Syrie et instaurer un cessez-le-feu et affirme que si le régime syrien considère qu'un « cessez-le-feu n'est pas nécessaire et qu'il faut se battre jusqu'à la victoire, ce conflit va durer encore très longtemps et imaginer cela fait peur »[82],[83]. Mais la ligne du régime ne bouge pas. Dans une interview accordée au quotidien conservateur croate Večernji list et publié le , Bachar el-Assad renchérit : « Il n'y a pas d'autre choix que la victoire »[84],[85],[86].
Selon Agnès Levallois, enseignante à l'Institut d'études politiques de Paris, la non-intervention des Américains après le massacre de la Ghouta en 2013 a donné au régime syrien un « droit de tuer. Ce droit, il l’utilise tant qu’il peut quand des négociations sont en cours. Le régime sait très bien qu’un début de négociation va aboutir à la fin de ce système. À partir de là, il est prêt à tout pour éviter d’entrer en négociations, à moins qu’il y soit contraint. Or, les seuls qui peuvent le contraindre sont les Russes et les Iraniens. Le régime passe son temps à gagner du temps. Pour le moment, les faits lui donnent raison »[4].
Au printemps 2017, grâce au soutien de la Russie et de l'Iran, la situation militaire et diplomatique est favorable au régime syrien[84]. Le , cinq jours avant l'attaque de Khan Cheikhoun, les États-Unis annoncent devant l'ONU que le départ de Bachar el-Assad n'est plus pour eux une priorité[87],[88]. Conforté par son alliance avec la Russie et par le retrait américain, le régime syrien pense alors être définitivement à l'abri d'une intervention des États-Unis, qu'il considérait comme sa principale menace[77],[4],[84],[89],[90].
Le journaliste Robert Parry estime de son côté illogique d'attribuer le gazage à Bachar el-Assad, alors qu'il venait de remporter « une victoire diplomatique majeure » : l'annonce récente de l'administration Trump qu'elle ne cherchait plus un changement de régime en Syrie. Et, selon Robert Parry, Bachar el-Assad est suffisamment malin pour anticiper qu'une attaque chimique de sa part entraînerait une riposte américaine et remettrait en cause les succès obtenus par son armée avec l'aide russe et iranienne[91]. Mais pour Faysal Itani, chercheur au think tank américain Atlantic Council, au contraire, Bachar el-Assad avait « toutes les raisons d'utiliser des armes chimiques et peu de raisons de se retenir »[77].
En effet, selon Faysal Itani, mais aussi Wassim Nasr, journaliste de France 24 et Samir al-Taqi, un ancien conseiller du ministère des Affaires étrangères syrien ayant rallié l'opposition en 2011, l'objectif de l'attaque chimique est de terrifier les rebelles et les populations civiles, afin de provoquer l'effondrement militaire des premiers et de pousser les seconds à quitter les territoires insurgés pour regagner les zones contrôlées par les forces loyalistes[77],[89],[64]. Le régime pense être désormais intouchable et estime que les Américains et les Occidentaux ne réagiront pas, ce qui découragera encore davantage l'opposition[77],[89],[84]. Pour Wassim Nasr : « Vis-à-vis des Syriens, elle [l'attaque chimique] montrerait une fois de plus l'incapacité des Occidentaux à intervenir. Par conséquent, même les Syriens qui hésitent à revenir dans le giron de l'État devraient s'y résoudre »[84],[90]. Pour Olivier Lepick, les attaques ont pour but de terroriser la population et de faire échouer les négociations internationales : « Avec cette attaque, le régime syrien fait la démonstration à la communauté internationale de son impunité totale. Il montre à ses alliés et à ses adversaires qu’il est opposé à la paix et bien décidé à reconquérir par la force l’intégralité du pays »[39],[92].
Pour Alain Chouet, ancien directeur du service de renseignement de sécurité à la DGSE, qui recommande « la prudence » et « une enquête inattaquable » : « Tout est imaginable dans cette affaire (...) l'usage du gaz n'a aucun intérêt militaire. S'il a été utilisé par Damas, c'est dans un but politique et stratégique afin de rappeler notamment aux Russes, dont les Syriens se méfient depuis leur alliance avec les Turcs, et aux Iraniens, que la Syrie reste maîtresse de ses choix chez elle et qu'elle ne se sent pas engagée par les décisions de Moscou et Téhéran dans les négociations. [...] Damas ne veut pas négocier car c'est une guerre à mort : le régime veut que l'ennemi se rende sans condition »[93].
De même pour Pascal Boniface, directeur de l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) : « La seule explication rationnelle que l'on puisse donner à ce bombardement est que Bachar el-Assad voulait torpiller les négociations en cours en faisant en sorte que l'opposition ne veuille plus le voir. Il craignait que ces discussions, menées sous l'égide des Russes, n'aboutissent à une solution qui aurait permis au régime de rester mais sans lui. C'est dans cette optique qu'il a fait usage du gaz sarin dont l'intérêt militaire est inexistant »[94].
Le politologue Julien Théron « vois une mécanique à l'œuvre depuis le début de la crise où le régime, impuni jusqu'aux frappes du 6 avril, se sent incité à tester sur le terrain hier l'inaction d'Obama et aujourd'hui les déclarations de Trump ». Pour lui l'annonce faite par les États-Unis que le régime n'était plus sa priorité et les bonnes relations de Donald Trump et Abdel Fattah al-Sissi — Trump venait de recevoir le président égyptien quelques jours plus tôt et avait déclaré qu'« il fallait des hommes forts pour un Moyen-Orient stable » — ont constitué « un message involontaire de sa part mais qui a plausiblement laissé penser au régime de Damas que Washington lui laisserait désormais les mains libres ». Le régime « a donc peut-être tenté de voir si, avec Trump, il pouvait faire ce qu’il voulait et frapper plus fort. En l'occurrence ce n’est pas du tout le cas et le régime s'est pris un sévère retour de bâton »[95].
Le , le ministre turc de la Santé annonce que les analyses de sang et d'urine prélevés sur des blessés soignés en Turquie confirment l'utilisation de sarin lors de l'attaque de Khan Cheikhoun[96]. Le 12 avril, le Royaume-Uni annonce à l'ONU que les scientifiques britanniques, après avoir analysé des échantillons du site de l'attaque, confirment également l'usage de sarin ou d'un agent neurotoxique similaire[97],[98]. Le 9 avril, l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC) annonce à son tour que les tests prouvent de manière « irréfutable » que du gaz sarin ou une substance similaire ont été utilisés lors du massacre de Khan Cheikhoun[99],[100]. Le rapport de l'OIAC est aussitôt critiqué par la Russie[99].
Le 13 avril, les États-Unis déclarent que les renseignements militaires américains avaient intercepté des conversations entre des pilotes syriens et des experts en armes chimiques, qui évoquaient la préparation de l'attaque de Khan Cheikhoun[101],[102].
Le massacre de Khan Cheikhoun provoque une revirement des États-Unis, qui mène pour la première fois des actions de représailles contre le régime syrien. Dans la nuit du 6 au 7 avril, 59 missiles Tomahawk frappent la base aérienne d'Al-Chaayrate, dans le gouvernorat de Homs[103],[104]. Le revirement des États-Unis a probablement provoqué la surprise du gouvernement de Damas[77],[89] et la colère de la Russie[84],[95],[105]. Cependant ces bombardements sont sans grande conséquence pour le régime syrien[89],[90],[106],[107].
Le 13 avril, le régime syrien accuse la coalition d'avoir à son tour bombardé un dépôt de gaz toxique de l'État islamique à Hatlah, dans le gouvernorat de Deir ez-Zor, ce qui aurait fait selon lui fait « des centaines de morts, dont de nombreux civils »[108]. L'armée syrienne affirme alors que cela constitue la preuve que les djihadistes de l'EI et d'al-Qaïda « possèdent des armes chimiques »[108]. Cependant ces déclarations ne sont confirmées par aucune source indépendante[108]. Le réseau d'informations DeirEzzor24, pro-opposition, qualifie cette annonce de « fake news » et affirme qu'aucun bombardement et aucune perte civile n'ont été rapporté dernièrement à Hatlah[109]. Le colonel John Dorrian, porte-parole de la coalition, dément également et affirme que « la coalition n'a mené aucun bombardement dans cette zone à l'heure indiquée. Les affirmations syriennes sont erronées et sont sans doute mal intentionnées »[108]. Quant au ministère russe de la Défense, il indique n'avoir reçu aucune information confirmant les affirmations de Damas[108].