Un apocryphe (du grec ἀπόκρυφος / apókryphos, « caché ») est un écrit dont l'authenticité n'est pas établie. Dans le domaine biblique, l'expression désigne, à partir de la construction des canons, un texte jugé inauthentique par les autorités religieuses.
L'acception du terme a pu être interprétée de différentes façons. Ainsi, Jérôme de Stridon nommait « apocryphes » les livres deutérocanoniques de l’Ancien Testament et les considérait comme non canoniques. Le qualificatif « apocryphes » est donné par les protestants à certains textes appelés deutérocanoniques par les catholiques, qui se trouvent dans la Septante et la Vulgate mais sont absents de la Bible hébraïque. Les livres de l’Ancien Testament, que les catholiques nomment « apocryphes », sont dits « pseudépigraphes » par les protestants.
Si certains apocryphes chrétiens sont exclus d'utilisation par la « Grande Église » pour des raisons théologiques, certains, en dépit même de leur éventuelle condamnation, ont joué un rôle non négligeable dans la vie ecclésiale, comme le Protévangile de Jacques. Ces textes ont par ailleurs pu avoir une influence sur la rédaction de plusieurs passages du Coran évoquant la vie de Jésus, à l'image de l'Évangile de l'enfance selon Thomas.
En droit, on se doit de distinguer les apocryphes, les écrits qui ne proviennent pas de l'inspiration divine, des « pseudépigraphes », les écrits dont on ne peut assurer l'origine ou attribués à une personne dont on sait qu'il est impossible qu'elle en soit l'auteur. L'exégèse moderne a montré que c'est le cas de plusieurs textes canoniques.
Origène, l'un des premiers pères de l'Église, tend à assimiler textes pseudépigraphes et apocryphes :
Pour Origène, le doute sur l'authenticité (pseudoépigraphie) va de pair avec le doute sur l'« inspiration » (« apocryphité ») : si un livre n'a pas été écrit par le personnage biblique auquel il est attribué, c'est qu'il est probablement l'œuvre d'un impie. Réciproquement, l'authenticité est le principal critère invoqué par une autorité religieuse pour justifier de l'introduction ou du rejet d'un texte dans le canon. L'authenticité dépend en outre de la confiance du lecteur à l'égard de cette autorité, comme le montre Origène qui juge suspects les textes employés par ceux qu'il tient pour hérétiques (les disciples de Basilide). Notons cependant qu'Origène ne rejette pas en bloc et a priori la lecture de tous les textes qu'il suspecte d'être apocryphes. Cette attitude s'explique en partie par le fait que l'orthodoxie chrétienne et le canon biblique ne sont pas encore bien fixés à son époque.
Plus tard, Jérôme de Stridon a utilisé le terme « apocryphe » comme synonyme de « livre non canonique ». Il qualifie ainsi les livres dits « deutérocanoniques » – qu'il ne considère pas comme « cachés », « secrets » ou « hérétiques », mais comme d'un degré inférieur aux livres servant de « règle » (« canon »)[2] à la doctrine chrétienne[3] – qu'il renvoie à la fin de sa Vulgate[4].
L'adjectif « deutérocanonique » (du grec δευτερος, « deuxième ») signifie « entré secondairement dans le canon », ce qui n'implique pas une hiérarchisation du degré d'inspiration.
L'Église catholique nomme « apocryphes » les textes qu'elle n'a pas retenus dans son canon tandis que les Églises issues de la Réforme les nomment « pseudépigraphes ». En ce qui concerne les écrits de l'Ancien Testament, elle nomme « deutérocanoniques » ceux que les Églises protestantes nomment « apocryphes ».
Cette différence tient au fait que le christianisme a d'abord tenu pour inspirée la Septante qui contient de nombreux livres qui n'étaient pas dans la Bible hébraïque. Au XVIe siècle, les humanistes comme Didier Érasme et Jacques Lefèvre d'Étaples, ainsi que les protestants, reviennent au texte hébreu là où Jérôme avait compilé les sources grecques et hébraïques. Catholiques et orthodoxes font valoir que le canon court, retenu par les Églises réformées, a été fixé par des docteurs juifs au synode de Jamnia, après l'apparition du christianisme et en réaction contre lui. Les livres deutérocanoniques du Nouveau Testament sont très généralement acceptés par les Églises chrétiennes.
Chez les auteurs contemporains, nous pouvons distinguer, sommairement, deux écoles quant à la compréhension de la notion d'apocryphes :
Les premiers pourraient être qualifiés de plus « conservateurs » dans la mesure où l'utilisation de la notion d'apocryphes du Nouveau Testament est issue du travail de compilation des philologues des XVIIe-XIXe siècle, qui ont constitué des grandes éditions d'apocryphes du Nouveau Testament[5].
Un article d'Éric Junod, l'un des fondateurs de l'Association pour l'étude de la littérature apocryphe chrétienne (AELAC) dont émane la revue Apocrypha (ISSN 1155-3316), explique la raison du passage à l'appellation « littérature apocryphe chrétienne » par rapport à celle d'« apocryphes du Nouveau Testament »[6] :
L'expression « Littératures apocryphes chrétiennes » est donc préférée par cette association à « apocryphes du Nouveau Testament ». Cette littérature est définie sommairement dans la présentation de l'association[9] :
« L'Association pour l'étude de la littérature apocryphe chrétienne, fondée en 1981, a pour but l'édition critique, la traduction et le commentaire de tous les textes pseudoépigraphiques ou anonymes d'origine chrétienne qui ont pour centre d'intérêt des personnages apparaissant dans les livres bibliques ou qui se rapportent à des événements racontés ou suggérés par ces livres.
L'Association regroupe tous les chercheurs qui préparent l'édition d'un écrit apocryphe pour la Series apocryphorum du Corpus christianorum. »
À l'inverse, certains chercheurs, notamment dans le monde germanophone, refusent une définition aussi large de la notion d'apocryphes. Pour eux, le principal problème d'une telle définition est la confusion avec d'autres genres littéraires de l'Antiquité chrétienne, et notamment le genre hagiographique[10].
Les membres de cette école se rapprochent alors de la notion d'« apocryphes du Nouveau Testament », telle qu'on la trouve définie dans les travaux précurseurs de Fabricius, Tischendorf et James[11]. Ainsi, le rapport entre textes canoniques et textes apocryphes est décrit par Jens Schröter[12] de la manière suivante :
« À l'intérieur de ces écrits nous n'avons pas affaire à des « textes concurrents » du Nouveau Testament, mais à des mises à jour (Fortschreibungen) et à des enjolivements (Ausmalungen) de la substance (Stoffen) que l'on retrouve dans les textes devenus canoniques (« die in den kanonisch werdenden Texten begegnen ») »
On perçoit dans cette définition une relation avec les textes du Nouveau Testament que refusent les tenants de l'appellation « Littérature apocryphe chrétienne ». Ainsi, les tenants de l'appellation « apocryphes du Nouveau Testament » maintiennent pour les apocryphes la quadripartition « évangiles – lettres apostoliques – actes d'apôtres – littérature apocalyptique »[13].
Voilà donc une définition de la notion d'apocryphes par un membre de cette école[14] :
« « Apocryphe » est une désignation qui est utilisée pour ces textes (situés) dans les éditions modernes de textes non canoniques du christianisme antique, qui ne se retrouvent pas dans le canon du Nouveau Testament, mais qui sont nés en partie en parallèle à sa formation [au canon du Nouveau Testament[15]] et qui ne se laissent pas incorporer à d'autres corpus – comme notamment la littérature « scientifique » ou apologétique des Pères de l'Église ou des prétendus « Pères Apostoliques » – ou bien de façon moins sensée. »
Analysant des apocryphes chrétiens, l'historien Simon Claude Mimouni souligne le fait qu'ils ont, à l'origine, une légitimité égale à celle des textes canoniques : « D'un point de vue historique, il convient de ne surtout pas considérer les récits canoniques comme supérieurs aux récits apocryphes. À l'époque de leur rédaction – vers la fin du Ier siècle et durant tout le IIe siècle – les uns et les autres avaient très certainement le même statut théologique »[16], jusqu'au moment où le canon a été fixé. « C'est au sein d'une diversité doctrinale foisonnante – en partie gommée par la canonisation – que les récits apocryphes ont fleuri soit pour s'opposer à certaines tendances marginales (qui deviendront hétérodoxes), soit pour défendre certaines tendances majoritaires (qui deviendront orthodoxes) »[16].
Certains apocryphes sont précieux pour étudier les formes littéraires comme le contexte de production des œuvres canoniques et pour connaître les mouvements religieux dissidents du judaïsme et du christianisme anciens.
Si certains apocryphes chrétiens sont exclus d'utilisation par la « Grande Église »[17] pour des raisons théologiques, certains, en dépit même de leur éventuelle condamnation, ont joué un rôle non négligeable dans la vie ecclésiale. Enrico Norelli souligne l'importance qu'ont pris dans l'imaginaire Chrétien, au sein même de l'Église, des éléments contenus dans un évangile apocryphe comme le Protévangile de Jacques : les noms des parents de Marie, (Joachim et Anne, canonisés au XVIe siècle) ; « l'âge avancé de Joseph ; la virginité in partu [virginité de Marie pendant l'accouchement], absente des textes devenus canoniques, est clairement affirmée ici ; la naissance dans une grotte » ; « alors que d'un côté les autorités ecclésiales rejetaient fermement les apocryphes, de l'autre elles en prélevaient des éléments, passant sous silence leur origine ou les "blanchissant" via une nouvelle légitimation du récit »[18].
Une étude de la savante Els Rose[19] a démontré que le Moyen Âge occidental a utilisé des traditions apocryphes dans ses liturgies de commémoration des apôtres.
De même, certaines Églises produisent des traditions apocryphes pour fonder leurs légitimités apostoliques. Ainsi les Actes de Barnabé[20] sont-ils produits au milieu du Ve siècle peu après l'obtention de l'autocéphalie de l'Église de Chypre[21]. En ce qui concerne l'Église de Rome, si elle n'est pas à l'origine des apocryphes du IIe siècle relatant les missions de Pierre et Paul à Rome[22], elle fusionne ces traditions pour produire des textes mentionnant le martyre des apôtres le même jour[23].
Si les premiers évangiles apocryphes sont employés comme exposés doctrinaux, les suivants servent, quant à eux, de matériaux aux récits hagiographiques et légendaires qui alimentent divers auteurs et contribuent à la formation de la mythologie médiévale[24].
La question des sources chrétiennes employées pour la rédaction du Coran est régulièrement posée dans les recherches sur le Coran. Celui-ci partage notamment avec certains textes chrétiens apocryphes de nombreuses scènes de vie de Marie et d'enfance de Jésus. Pour Guillaume Dye, « certains passages du Coran ont été composés par des rédacteurs qui ont une connaissance approfondie, non seulement du christianisme en général, mais aussi de certains textes chrétiens bien précis »[25]. Un exemple est la sourate 19 dont « le texte montre une large connaissance et une grande familiarité avec la littérature et les traditions chrétiennes puisqu'il est truffé de récits, de références et de motifs qui ont leur origine dans les traditions chrétiennes écrites, liturgiques ou populaires »[26]. Les principaux rapprochements entre Coran et apocryphes chrétiens sont les suivants :
Cependant, une certaine prudence sur la question de l'intertextualité coranique est de mise. Le Coran étant un texte de l'Antiquité tardive, il transmet « des concepts et des attentes de son époque » pouvant présenter des ressemblances avec d'autres textes, sans qu'un lien direct avec un texte précis soit toujours prouvable[27].
Les apocryphes de l'Ancien Testament constituent un corpus de textes très variés de la littérature juive (mais qui nous sont essentiellement parvenus par l'intermédiaire du christianisme), du IIe siècle av. J.-C. à la fin du Ier siècle, qui n'ont pris place dans aucun canon.
Appelés aussi Écrits intertestamentaires, ils ne comprennent pas les écrits de Qumrân (André Dupont-Sommer les y incluait), ni les écrits philosophiques hellénistiques, les targoums et les écrits rabbiniques :