Ne pas être Juif et avoir apporté une aide, dans des situations où les Juifs étaient impuissants et menacés de mort, au risque de sa propre vie et de celle de ses proches.
« Juste parmi les nations » (en hébreu : חסיד אומות העולם, Hasid Ummot Ha-'Olam, littéralement « généreux des nations du monde ») est une expression du judaïsme tirée du Talmud (traité Baba Batra, 15 b).
En 1953, la Knesset (parlement d'Israël), en même temps qu’elle créait le mémorial de Yad Vashem à Jérusalem consacré aux victimes de la Shoah, décida d’honorer « les Justes parmi les nations qui ont mis leur vie en danger pour sauver des Juifs ». Le titre de Juste est décerné au nom de l’État d’Israël par le mémorial de Yad Vashem. Au , 25 271 Justes parmi les nations de 46 pays ont été honorés ; la Pologne, les Pays-Bas et la France sont les pays dont les citoyens ont été le plus médaillés. En tout, les Justes ont sauvé des centaines de milliers de personnes.
La notion de « Juste parmi les nations » dans la tradition juive
Dans la tradition du judaïsme, la plupart des préceptes et obligations contenus dans la Torah ou dans ses commentaires s’imposent seulement aux Juifs, étant hérités de leurs ancêtres qui furent volontaires pour cette charge. Ces obligations sont détaillées dans les 613 commandements (mitzvot) du judaïsme orthodoxe.
Les non-Juifs ont à suivre des principes éthiques moins détaillés et beaucoup moins nombreux. Au sens large, tout non-Juif qui observe les « Sept commandements » est reconnu en tant que « Juste » (en hébreu Tsaddik) et est assuré d’une récompense divine. Par exemple, dans les écritures juives, Job représente parfaitement ce type de personne, tout comme Melchisédech, tous deux non-juifs.
D’autres normes sont considérées par les rabbins comme importantes mais seules ces Sept Lois, supposées avoir été édictées au temps de Noé par Dieu pour toute l’Humanité, sont impératives.
D’après l’enseignement rabbinique, les sociétés qui s’écartent délibérément de ces prescriptions ne survivront pas comme le montre l’épisode biblique de Sodome et Gomorrhe. Chaque société n’est ainsi maintenue par Dieu que pour le Bien des « Justes » vivant en son sein. Le terme désigne strictement à l’origine les non-Juifs craignant Dieu comme dans le Midrash[réf. nécessaire] où il est fait référence à de rares « Justes » qui prient l’Éternel. L’usage du terme devient d’un emploi plus fréquent dans la littérature médiévale où sont désignés ainsi tous ceux qui font preuve de bienveillance à l’égard des Juifs. Le Zohar qualifie ainsi tout non-Juif qui se comporte avec justice[2].
La création du titre de Juste parmi les nations
Le processus de création dans l'ordre juridique israélien
Après la fin de la Seconde Guerre mondiale, dans les années 1950, prend corps en Israël la volonté de commémorer les martyrs de la Shoah. En , le gouvernement israélien dépose à la Knesset un « projet de loi sur la commémoration des martyrs et des héros - Yad Vashem ». C’est lors de débats par un amendement au projet qu’est ajouté une référence aux « Justes parmi les nations », non-Juifs qui ont risqué leur vie pour venir en aide à des Juifs. La notion de Juste entre dans le champ légal et politique par la loi du , au dernier alinéa de l’article I fixant les thèmes d’action du mémorial.
Mais ce n’est qu’à partir de 1963, comme une des conséquences du procès d’Adolf Eichmann à Jérusalem qui entend faire la lumière sur les comportements pendant la guerre et distingue entre les attitudes des différents pays, institutions et communautés, ceux qui ont agi pour sauver des Juifs, que Yad Vashem enclenche une politique active d’identification de ces « Justes »[3].
La signification politique de cet hommage
Yad Vashem estime que l’hommage rendu aux Justes parmi les nations revêt une signification éducative et morale[4] :
Israël a l’obligation éthique de reconnaître, d’honorer et de saluer, au nom du peuple juif, les non-Juifs qui, malgré les grands risques encourus pour eux-mêmes et pour leurs proches, ont aidé des Juifs à un moment où ils en avaient le plus besoin ;
Les actes des Justes prouvent qu’il était possible d’apporter au moins une aide aux Juifs. L’argument selon lequel l’appareil terroristenazi paralysait les initiatives contraires à la politique officielle est démenti par l’action de milliers de personnes de tous les milieux et dans tous les pays, qui ont aidé les Juifs à échapper à la « Solution finale ».
Octroi de la distinction
Critères de choix
Depuis 1963, une « commission d'hommage » présidée par un Juge de la Cour suprême d’Israël a été créée pour décerner le titre de « Juste parmi les nations ».
La commission respecte des critères précis et s’appuie sur une documentation méthodique reposant principalement sur les témoignages directs. Les dossiers permettant d’établir la reconnaissance d’un Juste doivent établir, avec plusieurs témoignages concordants, des faits probants tels que :
le fait d’avoir apporté une aide dans des situations où les Juifs étaient impuissants et menacés de mort ou de déportation vers les camps de concentration ;
le fait d’avoir été conscient qu’en apportant cette aide, le sauveteur risquait sa vie, sa sécurité ou sa liberté personnelle, les nazis considérant l’assistance aux Juifs comme un crime ;
le fait de n’avoir recherché aucune récompense ou compensation matérielle en contrepartie de l’aide apportée[5].
Conséquences de ce choix
Une personne reconnue comme un « Juste » se voit octroyer une médaille à son nom, un certificat officiel et son nom est gravé sur le « Mur d’Honneur » dans le « Jardin des Justes » à Yad Vashem. Cette inscription remplace la plantation d’un arbre faute de place dans le mémorial. Ces symboles sont remis au « Juste » ou à ses représentants lors de cérémonies publiques.
Un Juste reçoit en outre un versement mensuel au niveau du salaire moyen d’Israël. Diverses aides sanitaires et sociales lui sont accordées ainsi qu’à son époux(se). Le « Juste » qui est en difficulté - où qu’il réside - sera aidé par La « Fondation juive pour les Justes », établie à New York (États-Unis) créée à cet effet. Le Fonds Anne Frank, établi à Bâle (Suisse) prend en charge tous frais médicaux. Les « Justes » établis en Israël (57 personnes et leurs familles) reçoivent une pension d'État[5].
Les lois de Yad Vashem autorisent :
« à conférer la citoyenneté honoraire aux Justes parmi les nations et s’ils ont disparu, la citoyenneté commémorative de l’État d’Israël en reconnaissance de leurs actions ».
Au , 22 765 personnes, incluant les membres de la famille qui ont partagé les risques du sauvetage des Juifs, ont été reconnues Justes, représentant plus de 8 000 actions de secours authentifiées de par le monde.
La politique de Yad Vashem est de poursuivre ce programme tant que des demandes de reconnaissance étayées par des preuves lui seront transmises.
L’octroi de cette distinction doit honorer des actions incontestables, prouvées, largement individuelles à quelques exceptions comme le village français du Chambon-sur-Lignon, le village néerlandais de Nieuwlande, le réseau polonais d'aide aux Juifs Żegota ou la Résistancedanoise. La difficulté de trouver des témoignages directs ou le caractère diffus de certaines actions réduisent le nombre des « Justes » identifiables[6].
Comme le précise le site de la section française de Yad Vashem, le livre des Justes ne sera jamais fermé car nombreux sont ceux qui resteront anonymes, faute de témoignages. De plus, de nombreuses actions ont été effectuées par des réseaux très variés, des actions successives de faible portée menées par de nombreuses personnes, assistées par une très large « complicité passive ».
Communautés ou réseaux
Aux Pays-Bas, trois groupements ont reçu l'honneur de Yad Vashem : le village de Nieuwlande aux Pays-Bas (117 personnes), l'ensemble des participants de la grève de février (25-26 février 1941), environ 40 à 50 000 personnes (ce fut la première grève contre la déportation des Juives en Europe occupée), et le groupe clandestin des résistants connu comme 'NV' (signifiant "société anonyme") qui se spécialisait dans le sauvetage des enfants juives, environs 200, qui ont toutes survécu à la guerre ;
le village de Justes : Le Chambon-sur-Lignon dont la population de 3 000 habitants a été honorée collectivement pour avoir sauvé entre trois et cinq mille Juifs ;
Żegota (nom de code de la Commission d’Aide aux Juifs (Rada Pomocy Żydom)), organisation clandestine résistante de l'Armia Krajowa active en Pologne entre 1942 et 1945, qui sauva environ 75 000 Juifs polonais et délivra plus de 60.000 fausses identités et documents pour dissimuler les Juifs dans la population. Appuyée notamment par de nombreuses communautés religieuses, elle opérait dans la Résistance intérieure sous la tutelle du Gouvernement Polonais en exil.
le Comité de Défense des Juifs qui en Belgique organisa la protection de 4 000 enfants entre 1942 et 1944. Andrée Geulen en est la figure la plus connue.
Quelques Justes parmi d'autres
Parmi les 2 700 Justes honorés en France, différents groupes sont mis en exergue. Un dictionnaire des Justes de France, comportant plus de 2 000 noms, a été publié en 2003[7],[8]. L’analyse de ces noms montre une très grande diversité des conditions sociales et des métiers mais avec une prédominance notable de femmes (60 % des occurrences)[6]. Le premier Juste parmi les nations nommé en France en 1964 est le père Jean Fleury pour son action auprès des Juifs et des Tziganes du Camp de la route de Limoges[9],[10].
Quelques-uns des « Justes » plus connus montrent également qu’ils relèvent d’origine et de condition très diverses :
Rémy Dumoncel, maire français et résistant mort en déportation ;
Władysław Bartoszewski, homme politique et diplomate, prisonnier du camp d'Auschwitz, membre de Front du Renouveau Polonais (pl) et de Żegota, futur ministre et sénateur polonais ;
Henryk Sławik, journaliste et homme politique polonais membre du PPS, aida à sauver près de 5.000 Juifs hongrois et polonais en leur acheminant de faux passeports. Il est mort au camp de concentration de Gusen ;
Stefan Korboński (en), juriste et homme politique membre du PSL, informait le gouvernement de Londres ainsi que la BBC de l'extermination des Juifs ;
Justin Godart, ministre, député, sénateur, maire de Lyon ;
Vytautas Landsbergis, père de son homonyme, le premier président de la Lituanie après la dislocation du bloc soviétique ;
le pasteur André Bettex, pasteur au Riou, commune de Mazet (Haute-Loire),
le pasteur François et Madame Liliane Chazel, de Vebron (Lozère)
le pasteur Robert Cook, de Vabre, qui coordonna l'effort avec la municipalité et la gendarmerie pour cacher les réfugiés, juifs et non-juifs et pour soutenir le maquis de Vabre,
le pasteur Edmond Evrard qui vint en aide aux Juifs réfugiés à Nice, ainsi que le pasteur Pierre Gagnier et son épouse Hélène, au sein du Réseau Marcel,
le pasteur Paul Funé, son épouse Alice et sa fille Jeanne ; Paul Funé était pasteur au Collet-de-Dèze,
le lieutenant-colonel Henryk Iwański, de l'Armée polonaise et soldat de l'Armia Krajowa, a fourni des armes lors du soulèvement du ghetto de Varsovie ;
le colonel Henryk Woliński, juriste et soldat polonais de l'Armia Krajowa, co-fondateur de Żegota, a caché 25 Juifs à son domicile et en aida 283 autres ;
le commandant Józef Sobiesiak (pl), organisateur de la section partisane 'Maks' de Volynie, sous protection duquel ont survécu près 500 juifs ;
le policier Wacław Nowiński ainsi que sa femme Janina et son fils Wacław, aidèrent à cacher des Juifs[18] ;
Édouard Vigneron[19], chef du service des étrangers de la police de Nancy, Pierre Marie[20] et trois collègues policiers (Charles Bouy[21], François Pinot[22] et Charles Thouron[23]) ont reçu la Médaille pour avoir fait échouer la rafle de Nancy et sauvé plus de 350 personnes ;
une liste des 64 policiers et gendarmes français distingués est publiée par la Société française d'histoire de la Police[24].
Olga Zawadzka, enseignante et catéchiste polonaise qui sous l'occupation allemande a sauvé la vie à trois jeunes juives, dont Noe Livne ;
Maria Rogowska-Falska (pl), enseignante et pédagogue polonaise, a caché plusieurs enfants, dont la fille de Salomon Fiszgrund, futur membre du PZPR ;
Yvonne Hagnauer, institutrice, féministe, syndicaliste résistante, qui protégea de nombreux adultes et une soixantaine d'enfants ;
Aimée Lallement, institutrice, militante associative et politique française, a adopté l’enfant qu’elle a sauvé ;
Madeleine Michelis, professeure agrégée au lycée d’État de jeunes filles d'Amiens de 1942 à 1944 et résistante ; a protégé des élèves juives du lycée Victor Duruy à Paris où elle enseignait en 1941 et a hébergé, fait passer en zone non occupée et s'assura de son hébergement, Claude Bloch, fille de l'architecte Jean-André Bloch[25].
André Romanet, instituteur à Salles-Arbuissonnas-en-Beaujolais, et son épouse Simone Romanet[26],[27],[28]. Le livre de souvenirs d’André Romanet, Le temps de la comète, publié aux Éditions Graphein en 1998, a été préfacé par Georges Charpak ;
Jerzy Zagórski (en), poète, essayiste et traducteur polonais, et sa femme Maria, ont caché à leur domicile 18 Juifs jusqu'à l'Insurrection de Varsovie ;
Czesław Miłosz, poète, romancier, historien de la littérature et diplomate polonais, et son frère Andrzej, ont caché des Juifs ;
István Szőnyi, artiste peintre hongrois, maître de l'Université hongroise des beaux-arts de Budapest, cacha des Juifs à son domicile.
Chefs d’entreprise
Hermann Friedrich Graebeingénieur allemand, travailla à partir de 1941 comme directeur régional d'une entreprise de construction de Solingen dans l'Ukraine occupée par les Allemands. Est le témoin d’un massacre de masse perpétré contre des Juifs à Doubno. Il devient un farouche défenseur et sauve de très nombreux Juifs. Il émigre aux États-Unis après la guerre et soutiendra la cause des Juifs jusqu’à sa mort ;
Jan Żabiński, zoologue, physiologiste polonais, directeur du Parc Zoologique de Varsovie, résistant et militaire de l'Armia Krajowa, a caché des centaines de juifs sur le terrain du parc ;
Mohammed HelmyMohammed Helmy, médecin égyptien, est déclaré par le mémorial de Yad Vashem comme Juste parmi les nations pour avoir pris des risques personnels pendant trois ans afin de sauver la vie d'Anna Gutman, née Boros, de sa mère Julie, de sa grand-mère Cecilie Rudnik et de leur beau-père Georg Wehr, qui échappent tous à la Shoah. Helmy est le premier Arabe à être honoré de la sorte[30].
Tadeusz Pankiewicz, pharmacien polonais qui a activement aidé les Juifs du ghetto de Cracovie. Sa pharmacie s’était retrouvée en plein milieu du ghetto, il a été l'un des derniers non-Juifs à rester dans le ghetto et à tenir ouverte sa pharmacie jusqu’au jour de la liquidation[31] ;
Franciszek Paweł Raszeja (pl), médecin polonais et professeur académicien, tué par la Gestapo alors qu'il se rendait au ghetto pour soigner son patient.
Gino Bartali, cyclisteitalien notamment vainqueur des Tours de France1938 et 1948. Il a fait partie d'un réseau financé et abrité par le Vatican et aurait ainsi contribué à sauver 800 Juifs en profitant de ses entraînements pour faire passer des documents falsifiés, cachés dans la selle et le guidon de son vélo;
Princesse Hélène de Grèce, reine mère de Roumanie, a participé au sauvetage de nombreux Juifs et opposants alors qu'elle représentait un régime allié des nazis ;
Khaled Abdul-Wahab, Tunisien de 32 ans, cache deux douzaines de familles juives dans sa ferme pendant quatre mois, jusqu'à ce que l'occupation prenne fin. Abdul-Wahab est parfois appelé comme l'« Oskar Schindler » arabe[35]. En 2009, deux arbres sont plantés en mémoire de sa bravoure, l'un dans l'Adas Israel Garden of the Righteous à Washington, l'autre dans le Garden of the Righteous Worldwide à Milan[36].
Witold Bieńkowski (en), co-fondateur de l'organisation polonaise d'aide aux Juifs Żegota ;
Rolande Birgy, résistante, a fait passer des enfants juifs en Suisse ;
Władysława Choms (pl), militante politique polonaise, membre de l'organisation polonaise Żegota (section Lwów), a sauvé de nombreuses personnes du ghetto de Lwów ;
Tadeusz Czeżowski (pl), philosophe, logicien et éthicien polonais, a caché à son domicile 8 évadés du ghetto de Vilnus, puis les a aidés à fuir la ville en leur procurant de faux papiers ;
Jan Dobraczyński, écrivain et journaliste polonais, membre de Żegota, a permis de placer entre 500 et 700 enfants juifs dans des orphelinats catholiques[37] ;
Maria Fedecka (pl), militante politique polonaise, a caché une famille de douze personnes à Vilnus
Julian Grobelny, leader de l'organisation polonaise Żegota et sa femme Halina, ont sauvé un groupe d'enfants juifs ;
Zofia Kossak-Szczucka, co-fondatrice de l'organisation polonaise Żegota, est venue en aide à des centaines de Juifs, en particulier des enfants ;
Maria Kotarba, appelée ange d'Auschwitz, courrier du mouvement de Résistance Armia Krajowa puis prisonnière politique et internée au camp d'Auschwitz, fournissait vivres et médicaments aux femmes juives du camp ;
Jerzy Krępeć et sa femme Irena (en), ont sauvé près de 30 Juifs près de Płock en Pologne ;
Lorenzo Perrone, maçon italien, a sauvé la vie de Primo Levi à Auschwitz (reconnu le 7 juin 1998 par Yad Vashem)[38]
Germaine Ribière, étudiante et militante catholique française, membre de la Résistance, qui sauva de nombreux Juifs ;
Leopold Socha, inspecteur d'égouts, et sa femme Magdalena, ont abrité 10 juifs dans les égouts de Lwów[39] en Pologne vis-à-vis des Allemands et collaborateurs ukrainiens. Le polonais fait l'objet du film biographique d'Agnieszka HollandSous la ville (2011).
Robert Stahl, prêtre à Lille, a sauvé des enfants juifs de la déportation ;
la comtesse Erszébet Szapary, (2 juin 1902 à Budapest - 26 mai 1980 à Lausanne) a sauvé des Juifs avec la Commission hungaro-polonaise des réfugiés fondée en 1940. Elle était l’amie intime de Katalin Andrássy, femme de l’ancien président de la République de Hongrie, le comte Mihály Károlyi.
Refik Veseli, un jeune albanais musulman de 17 ans, ses frères Hamid et Xhemal et ses parents Vesel et Fatima Veseli ont abrité la famille de Mosa et Gabriela Mandil, pour qui le premier avait travaillé comme apprenti. Ils sont les premiers Albanais reconnus comme Justes parmi les nations[40].
Les Justes par pays
Au , les Justes parmi les nations sont 26 973[41]. Ces chiffres tiennent compte des États actuels et non des États existant au moment des faits (Tchécoslovaquie : 688, Roumanie : 139, Yougoslavie : 314, URSS : 4 552). Par ailleurs, dans les pays où la démocratie et la liberté de l’information manquent ou ne sont apparus que récemment, les rescapés ont eu du mal à retrouver leurs sauveteurs, ceux-ci n’ont pas souvent osé rechercher les personnes qu’ils avaient aidées, et l’existence de Yad Vashem n’a été que tardivement connue, et plutôt en milieu urbain que rural.
Dont la famille Veseli[42]. L'Albanie, pays à majorité musulmane, a sauvé la quasi-totalité de sa population juive résidente, soit environ 2000 personnes[43],[44],[45].
Dont Henry Christen et Ellen Margrethe Thomsen[61]. La Résistance danoise veut que les personnes ayant sauvé des juifs ne soient pas listés individuellement mais commémorés comme un seul groupe (voir par exemple Club de couture d'Elseneur)[62].
Comme dans d’autres pays européens, la France a connu des actions visant à aider les Juifs, certaines actives, d’autres traduisant une capacité diffuse et assez répandue de « désobéissance civile » chez les Français.
La diversité des actions de sauvetage, en zone libre comme en zone occupée, la propension des laïcs et des religieux à ne pas exécuter les lois du Régime de Vichy et les exigences des autorités allemandes, la relativité de l’application des décisions gouvernementales sont révélatrices de cette attitude qui a débuté dès 1940, avant les rafles de l’été 1942. Désobéir, c’était, à certains moments, prendre des risques pour ne pas collaborer et pour tenter de sauver autrui.
En France, 4 065 personnes ont été formellement identifiées comme Justes par Yad Vashem (chiffre mai 2018[4]). Mais un bien plus grand nombre, probablement, a dû agir pour sauver de la déportation les trois quarts des Juifs qui résidaient alors en France : en , la France comptait environ 300 000 Juifs se répartissant ainsi : 110 000 Français depuis plusieurs générations, 70 000 naturalisés Français et 120 000 étrangers et apatrides ; à ceux-ci s’ajoutèrent en près de 40 000 réfugiés Juifs de Belgique, des Pays-Bas et du Luxembourg qui avaient fui sous le choc de l’invasion allemande ; sans oublier les Juifs allemands, expulsés d’Allemagne en France par les Nazis après l’Armistice de 1940, dont 6 538 Juifs du Pays de Bade, du Palatinat et de Sarre ; nombre d’entre eux furent internés au Camp de Gurs[101]. 75 721 Juifs[102] furent déportés et 2 560 revinrent des camps[103].
Les « Justes de France »
La notion de « Justes de France » apparaît dans une proposition de loi de Jean Le Garrec (groupe socialiste), déposée le et qui n’a pas abouti. Elle prévoyait la création d’un titre de « Juste de France » témoignant d’actions accomplies durant la période du Régime de Vichy pour recueillir, protéger ou défendre des personnes menacées de l’un des crimes définis par les articles 211-1 à 213-5 du code pénal français (génocide, crime contre l’humanité).
Le titre de « Juste de France » aurait été décerné par une commission nationale créée à cet effet et qui aurait vérifié que les personnes concernées répondaient aux conditions fixées par le texte (avoir procuré, au risque conscient de sa vie ou de son intégrité corporelle, spontanément et sans espoir de contrepartie, une aide véritable à une personne se trouvant en situation de danger ou de péril immédiat). Cette proposition de loi n'aboutit pas.
En 2000, une nouvelle proposition de loi, adoptée à l’unanimité par les députés, instaure une journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l’État français et d’hommage aux « Justes de France » mais abandonne la création d’un titre de « Juste de France » décerné par la République française.
Sont donc désignées, Justes de France, les personnes ayant reçu le titre de « Juste parmi les nations », délivré par la commission israélienne de Yad Vashem aux protecteurs des seuls Juifs (et non à ceux des autres victimes de persécutions raciales, comme les Tsiganes)[104] et qui ont agi en France.
Néanmoins, les Français ayant secouru des Juifs, pendant la Seconde Guerre mondiale et restés des « Justes » anonymes sont honorés comme les « Justes parmi les nations » par une inscription dans la crypte du Panthéon de Paris, en tant que Justes de France.
Le titre de « Justes parmi les nations » a été décerné à cette date à 2 725 Français, dont 240 encore en vie. Plusieurs dossiers sont en cours d’instruction. À cette occasion, le Président de la République prononce un discours rappelant le refus de l’indifférence et de l’aveuglement face à l’attitude haineuse et revancharde du Régime de Vichy[105]. La date du 18 janvier correspond à l’anniversaire de l’entrée des troupes soviétiques dans le camp d’Auschwitz.
On peut lire sur le mur de la crypte le texte suivant :
« Sous la chape de haine et de nuit tombée sur la France dans les années d’occupation, des lumières, par milliers, refusèrent de s’éteindre. Nommés « Justes parmi les nations » ou restés anonymes, des femmes et des hommes, de toutes origines et de toutes conditions, ont sauvé des Juifs des persécutions antisémites et des camps d’extermination. Bravant les risques encourus, ils ont incarné l’honneur de la France, ses valeurs de justice, de tolérance et d’humanité. »
Cette cérémonie fait suite à la déclaration du au Vélodrome d’Hiver dans laquelle le Président Chirac disait : « La folie criminelle de l’occupant a été secondée par des Français, par l’État français »[106], reconnaissant ainsi le rôle de l’administration française dans la déportation des Juifs en France. La cérémonie suivait aussi l’instauration en 2000 de la Journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l’État français et d’hommage aux Justes de France le 16 juillet de chaque année[107].
Le Mémorial de la Shoah, auquel la Fondation pour la Mémoire de la Shoah apporte un soutien financier permanent, a réalisé, à proximité du Mur des Noms où sont gravés les noms des 76 000 Juifs déportés de France, un « Mur des Justes », sur le mur extérieur du mémorial, en hommage à plus de 3 900 personnes reconnues « Justes parmi les nations » en France[108]. La liste des noms est ordonnée par l'année où le titre a été décerné et par ordre alphabétique. La rue où se trouve la liste a été renommée « allée des Justes ». Ce « Mur des Justes », ainsi que l’exposition réalisée à cette occasion, ont été inaugurés le .
La notion de Juste parmi les nations entraîne quelques critiques : ainsi les Juifs qui sauvèrent des Juifs, comme les frères Bielski, ne sont pas considérés comme des Justes, leur action étant jugée « normale ». Certains débats ont eu lieu sur le fait de savoir si sauver des Juifs convertis au christianisme pouvait être considéré comme l’action de Justes. Les avis divergent sur cette question[109].
La délivrance du titre de Juste est basée uniquement sur des témoignages de Juifs en faveur de leurs anciens sauveteurs et donc des personnalités, dont le rôle dans le sauvetage de Juifs est avéré, ne peuvent y prétendre si ce témoignage manque. Même des personnalités unanimement réputées pour leur action ne peuvent être reconnues : c'est le cas de MgrBruno de Solages, recteur de l'Université catholique de Toulouse dont le dossier n'a pu aboutir faute de témoignages de Juifs[110].
Par ailleurs, il existe des discussions sur l’ambiguïté de Justes comme Oskar Schindler et Traian Popovici, qui, dans leurs relations avec les nazis ou leur équivalent local, ont mis en avant des raisons économiques pour préserver « leurs » Juifs : les commentateurs modernes débattent pour savoir si ces arguments avaient une motivation humaniste (prétexte pour sauver des Juifs) ou bien étaient « sincèrement cyniques » (raison réellement économique)[111]. Dans N’oublie pas le petit Jésus !, L’Église catholique et les enfants juifs (1940-1945), Maurice Rajsfus publie des témoignages sur les motivations prétenduement prosélytes des démarches de certains sauveteurs d’enfants[112].
Une lente reconnaissance de certains Justes
La liste des récipiendaires du titre de Juste parmi les Nations s'enrichit au fil des recherches et des travaux historiques. C'est un « travail en [constante] progression » comme on peut le lire sur la base de données du site du mémorial de Yad Vashem. Cependant, il existe un certain nombre de personnages historiques qui se sont distingués par leur soutien inconditionnel et décisif envers leurs compatriotes juifs durant la Seconde Guerre Mondiale et dont les actes sont reconnus par les historiens mais qui ne jouissent pas pour autant de ce titre. Parmi ces personnages, il y a notamment des individus issus du monde musulman qui ne jouissent pas du même traitement de faveur mémoriel.
On peut citer à titre d'exemple, le recteur de la Grande Mosquée de Paris, Si Kaddour Benghabrit, qui fournissait sous l'Occupation de faux certificats d'identité musulmane à des juifs vivant à Paris et d'origine séfarade notamment. La Grande Mosquée de Paris sauva ainsi une centaine de juifs et construisait même de fausses pierres tombales dans le cimetière musulman de Bobigny pour attester de l'ascendance musulmane de certains juifs. L'artiste et chanteur Salim Halali est la personnalité juive la plus célèbre à avoir bénéficié de ce stratagème. Ismael Ferroukhi s'inspira de cette histoire pour réaliser son film Les Hommes libres. Un appel à témoin de juifs sauvés par la Mosquée de Paris entre 1942 et 1944 a été lancé le 3 avril 2005 pour que la médaille des Justes soit remise par le mémorial de Yad Vashem aux descendants de Si Kaddour Benghabrit[113][source insuffisante].
On peut citer aussi Mohammed V qui fut Sultan puis Roi du Maroc et qui a protégé les 200 000 juifs marocains[114]. Selon Serge Berdugo, en 1941, 200 000 étoiles jaunes avaient été préparées par la France de Vichy pour l’identification des juifs marocains, le Sultan répliqua qu’il fallait prévoir 50 autres pour lui et sa famille[114]. C'est aussi pourquoi, le Roi Mohammed V demeure un monarque très apprécié chez la communauté juive au Maroc et en Israël malgré le fait qu'il n'ait pas reçu le titre de Juste. Il n’en demeure pas moins que les hommages et les actes de reconnaissance officiels tendent à être moins timides comme en témoignent les récents travaux de mémoire réhabilitant la figure du Sultan protecteur. En 2015, il est le premier à recevoir à titre posthume le Prix de la liberté Martin Luther King Jr-Rabbin Abraham Joshua Hesche à New York pour « son action honorable pour empêcher l’application des lois de Vichy sur ses sujets juifs lorsque le Maroc était sous protectorat français »[115].
La Pourpre et le Noir, téléfilm réalisé par Jerry London produit en 1983 d’après le roman de J.P. Gallagher. Basée sur l’histoire de Monseigneur Hugh O’Flaherty, haut dignitaire du Vatican.
Un simple maillon, film documentaire de Frédéric Dumont et Bernard Balteau dans lequel Andrée Geulen raconte comment 12 femmes du Comité de Défense des Juifs se sont organisées en Belgique occupée pour sauver des milliers d’enfants. Production Les Films de la Mémoire, RTBF, WIP.*
↑La création du Titre de Juste parmi les nations 1953-1963, Sarah Gensburger, Bulletin du centre de recherche français de Jérusalem, no 15, 2004 éd. du CNRS.
↑Madeleine Michelis, Correspondance d'avant guerre et de guerre, préface de Jean-Louis Crémieux-Brilhac, présentations de Julien Cahon, Marie Claude Durand et Charles-Louis Foulon, Paris, éditions du Félin, janvier 2015 (ISBN978 - 2 - 86645 - 823 - 2)
↑Cabanel Patrick et Encreve André, Dictionnaire biographique des protestants français, de 1787 à nos jours, t. 1 : A-C, Paris, Editions de Paris - Max Chaleil,
↑« Le Mur des Justes - Mémorial de la Shoah », Mémorial de la Shoah, (lire en ligne, consulté le )
↑Voir la critique de la notion de Justes, qui aborde aussi sa dimension politique dans la revue Imaginaire et inconscient, no 21, 2008, Conjurer le mal : Les Justes, le Bien et le Mal, critiques d’une problématique.
↑Patrick Cabanel, Histoire des Justes de France, Armand Colin, 2012, p. 10.
↑Carol Iancu : La Shoah en Roumanie, éd. PM3, 2001, 188 p., (ISBN2842693566).
↑Maurice Rajsfus, N’oublie pas le petit Jésus !, L’Église catholique et les enfants juifs (1940-1945), Manya, 1994 (ISBN2-87896-096-3).
Jacques Semelin, Claire Andrieu, Sarah Gensburger (éd.), La Résistance aux génocides. De la pluralité des actes de sauvetage, Paris, Presses de Sciences Po, 2008.
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